La cour administrative d’appel de Lyon entérine la spécificité des garanties de procédure applicables aux sanctions fiscales. Elle juge en effet qu’aucune énonciation de la charte du contribuable vérifié n’impose à l’administration de répondre aux observations du contribuable sur les sanctions qu’elle envisage de mettre à sa charge. La cour ferme ainsi la porte à toute contestation procédurale sur ce point lorsque le contribuable se contente de contester lesdites sanctions et non la rectification d’imposition qui en constitue le fondement.
Il n’est sans doute plus à prouver que le droit fiscal, et en particulier sa procédure, a été le fer de lance d’une procédure administrative résolument moderne et tournée vers le dialogue avec le contribuable. Les finalités de cette procédure, visant à l’efficacité du recouvrement des recettes et la lutte contre la fraude fiscale, conduisent également le juge administratif à affiner en permanence ce qui relève de la notion de garantie procédurale.
La société Tablier Roi a fait l’objet d’une vérification de comptabilité, à la suite de laquelle des rehaussements d’impositions lui ont été notifiés en matière d’impôt sur les sociétés, de taxe sur la valeur ajoutée et de taxe sur les véhicules des sociétés. Ces suppléments d’impôts étaient assortis des pénalités correspondantes. La société requérante a d’abord contesté auprès de l’administration fiscale certains rehaussements en matière de TVA, demandant notamment, à titre gracieux, que lui soient remises les pénalités appliquées pour manquement délibéré. Dans une réponse du 8 décembre 2010, l’administration devait ne faire droit que partiellement à sa demande. Par courrier du 12 janvier 2011, la SARL confirmait dès lors sa demande portant uniquement sur la remise des pénalités et demandait le cas échéant la saisine du supérieur hiérarchique du vérificateur, sur le fondement du paragraphe 5 du chapitre III de la charte du contribuable vérifié. Après avoir été reçue par ledit supérieur, la société requérante adressait à l’administration une demande tendant à ce que soit saisi, sur cette même question, l’interlocuteur départemental visé dans ces mêmes dispositions de la charte. Alors que les impositions supplémentaires demeurant à sa charge étaient mises en recouvrement le 21 avril 2011, la SARL était finalement reçue par l’interlocuteur départemental le 6 juin 2011.
Le rappel de cette chronologie était nécessaire car c’est elle qui est essentiellement en litige, associée à la notion de garantie procédurale. En effet, la SARL Tablier Roi a saisi le tribunal administratif de Grenoble en considérant qu’elle avait été privée d’une garantie procédurale, les sommes litigieuses ayant été mises en recouvrement avant qu’elle ne puisse s’exprimer devant l’interlocuteur départemental.
Le régime des garanties en matière de vérification de comptabilité est double puisqu’il résulte d’une part, des garanties prévues par la charte du contribuable vérifié mais également, d’autre part, des garanties spécifiques prévues par la loi ou des directives administratives applicables uniquement à ce type de contrôle. Au titre des dispositions spéciales, le contribuable doit être assuré des garanties tenant à la possibilité d’un débat oral et contradictoire avec le vérificateur (par ex. CE, 2 mai 1990, n° 58215 ; RJF 1990, n° 6, n° 721).
Les règles qui figurent dans la charte et qui ont pour objet de garantir les droits du contribuable s'imposent au service vérificateur même lorsqu'elles sont d'origine administrative et non légale. Dans ce cas, cependant, leur méconnaissance n'affecte la régularité du contrôle que si elle porte atteinte, de façon substantielle, aux droits et garanties reconnus par la charte (CE, 10 novembre 2000, n° 204805 ; RJF 2001 n° 2 n° 194) .
Le texte de la charte prévoit ainsi que « si le vérificateur a maintenu totalement ou partiellement les rectifications envisagées, des éclaircissements supplémentaires peuvent vous être fournis si nécessaire par l’inspecteur divisionnaire ou principal ». Il poursuit : « si, après ces contacts des divergences importantes subsistent, vous pouvez faire appel à l’interlocuteur spécialement désigné par le directeur dont dépend le vérificateur ». Cet interlocuteur est celui désigné par le directeur du service responsable du contrôle. Les dispositions concernant la possibilité de saisine du supérieur hiérarchique s’inscrivent dans une volonté de personnaliser les voies de recours offertes aux contribuables vérifiés : elles établissent une véritable faculté d’évocation, qui ne peut être effective que dans le respect d’une pleine et entière information du contribuable. Celui-ci doit ainsi être informé, dans l’avis de vérification, non seulement de l’identité et des coordonnées du vérificateur mais également de son supérieur hiérarchique direct.
Du point de vue de la portée de ces dispositions, le Conseil d’État a jugé que la violation par l’administration de cette possibilité de saisir le supérieur hiérarchique, puis le vérificateur départemental constituait la violation d’une « garantie substantielle » entraînant la décharge des impositions (CE, 30 mars 2007, Soc. TMUA, n° 271787 ; RJF, 2007, n° 06, n° 721) . Le déclenchement de cette garantie substantielle est lié à l’existence d’un désaccord persistant et à une demande formulée par le contribuable de saisir le supérieur hiérarchique (CE 15 mai 2006, n° 267160 ; 15 octobre 2014, SARL Go Norma Ski, n° 358484) . Il n’en demeure pas moins que le contribuable serait privé d’une garantie s’il n’avait pas été informé, au préalable, de cette possibilité de saisine. Il appartient donc au juge, saisi par le contribuable du moyen selon lequel il aurait été induit en erreur par les indications qui lui ont été données par le service vérificateur sur les recours possibles d’examiner ce moyen et le cas échéant de constater l’atteinte à une garantie du contribuable (CE, 21 septembre 2016, n° 383857) .
La question posée à la cour administrative d’appel de Lyon portait en réalité non sur la nature de la garantie ainsi prévue, mais sur l’étendue de son champ d’application. Plus exactement, la question posée était relativement simple : la possibilité de saisir le supérieur hiérarchique est-elle ouverte en toute hypothèse de contestation, sur un quelconque élément de la rectification ? Car, dans le cas d’espèce, seules les pénalités correspondantes aux impositions rectifiées faisaient l’objet d’un désaccord : la saisine du supérieur hiérarchique prévue dans la charte couvre-t-elle le cas où seules les pénalités font l’objet d’un désaccord et non le montant des impositions en litige ? Si le moyen tiré d’une violation de cette garantie est régulièrement soulevé, la question ainsi posée est relativement peu fréquente. Les désaccords mentionnés dans la jurisprudence afférente à cette garantie concernent le plus souvent les impositions supplémentaires stricto sensu ou la méthode de reconstitution retenue (par ex. CAA Marseille, 13 octobre 2015, SARL La Galinette, n° 14MA01570) . Tout au plus, trouve-t-on une décision de la Cour administrative d’appel de Marseille du 9 avril 2013 (n° 11MA00823), qui va exactement dans le même sens de celle de Lyon dans l’espèce commentée.
La solution n’était en tout état de cause pas dictée par la jurisprudence du Conseil d’État, laissant une marge d’innovation possible. Dans sa décision de septembre 2016 précitée, celui-ci avait estimé que « ces dispositions assurent au contribuable qui en fait la demande la garantie substantielle de pouvoir obtenir, avant la clôture de la procédure de redressement, un débat avec le supérieur hiérarchique du vérificateur puis avec l’interlocuteur départemental dans les conditions qu’elles précisent ». Le Conseil ne précise pas le périmètre exact de ce débat, mais évoque dans le considérant suivant « la garantie, offerte par la charte du contribuable vérifié, d'obtenir un débat avec le supérieur hiérarchique du vérificateur sur tous les points où persiste un désaccord avec ce dernier » (nous soulignons). L’étendue de la garantie peut donc sembler maximale et conditionnée par la seule existence d’un désaccord. La cour administrative d’appel de Lyon propose pourtant de la limiter strictement, en excluant le bénéfice d’une telle garantie dans le cas où ledit désaccord ne porte que sur les pénalités correspondant à des impositions supplémentaires. Cette solution, conforme à celle retenue en 2013, à une seule reprise, par la cour de Marseille, paraît pourtant devoir être admise eu égard, d’une part, à la nature des pénalités fiscales et, d’autre part, aux circonstances mêmes de l’espèce.
En effet, les pénalités correspondant à un rehaussement d’impositions ne sont que la conséquence du comportement, réputé fautif, du contribuable. Elles ont à ce titre la nature de sanctions et obéissent à des garanties propres telles que l’obligation de motivation (art. L. 80 D du LPF, lequel renvoie aux dispositions générales du code des relations entre le public et l’administration en matière de motivation). Elles obéissent ainsi à un régime légal et jurisprudentiel strict, qui conduit à les distinguer des « rectifications envisagées » par l’administration fiscale, au sens de la charte ici interprétée par la cour : ces rectifications ne renverraient ainsi qu’aux seules impositions supplémentaires stricto sensu. Les faits de l’espèce offraient un exemple topique de cette distinction entre rectifications et pénalités puisque le contribuable contestait uniquement, devant l’administration, l’application des pénalités pour manquement délibéré et avait accepté les rehaussements envisagés par l’administration fiscale. Cette dernière avait d’ailleurs accédé à sa première demande de soumission du désaccord au supérieur hiérarchique du vérificateur, avant de mettre les sommes litigieuses en recouvrement. Mais, par un défaut de calendrier sans doute lié à une mauvaise communication entre les services, le recouvrement a été décidé et notifié par une décision du 21 avril 2011, alors que le contribuable rencontrait l’interlocuteur départemental le 6 juin 2011.
L’analyse de la cour administrative d’appel de Lyon valide ainsi la procédure suivie en l’espèce par l’administration fiscale, en estimant que la violation d’une procédure n’entrant pas dans le champ d’une garantie prévue par la charte du contribuable vérifié n’est pas de nature à vicier la procédure d’imposition. S’il est incontestable sur le plan du droit fiscal que l’établissement des pénalités n’est pas visé par ladite charte, on est en revanche plus dubitatif sur la solution finalement retenue du point de vue du droit général de la procédure administrative. On se souvient en effet que lorsqu’une autorité administrative décide volontairement de se soumettre à une procédure, elle doit en « jouer correctement le jeu » (CHAPUS (R.), Droit administratif général, Montchrestien, t. 1, 15e éd., 2001, p. 1031), en respectant les règles qu’elle aurait préalablement édictées (CE, 15 mai 2000, Territoire de la Nouvelle-Calédonie c/ Mme C., n° 193725, Rec. p. 170 ; RFDA, 2000, p. 879) . Dès lors, on aurait pu penser qu’en acceptant expressément de soumettre le litige à l’examen du supérieur hiérarchique, puis de l’interlocuteur départemental, l’administration fiscale en respecte pleinement les règles du jeu et surtout les conséquences fixées par la charte du contribuable. La spécialité des règles applicables aux pénalités fiscales aurait pu céder face à une administration qui laisse penser au contribuable qu’elle respecte une procédure, expressément prévue par un texte. On conviendra que, pour le juge de l’impôt, c’était faire produire à ce texte des conséquences qu’il ne prévoyait pas expressément et sortir sans doute de son office. Mais, au regard du principe de procédure rappelé, c’était aussi signifier à l’administration qu’elle doit respecter, en tant que pouvoir réglementaire, une certaine loyauté qui irrigue la relation administrative et fiscale, et dont la charte du contribuable est l’outil principal.