Des dispositions du 1° de l'article 3 du décret du 6 juin 2001 pris pour l'application du chapitre II du titre II de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 et relatif à l'accusé de réception des demandes présentées aux autorités administratives, il résulte que la dispense de délivrance d'un accusé de réception qu'elles prévoient, ne concerne que les décisions acquises au profit d'un demandeur. Figurent au nombre de ces décisions les décisions implicites d'acceptation ou d'autorisation, à l'exclusion des décisions implicites de rejet. Dès lors, la demande d'admission provisoire au séjour en qualité de demandeur d'asile présentée par un étranger, qui ne peut donner lieu, à l'expiration d'un délai de quinze jours et en l'absence de décision expresse, qu'à une décision implicite de rejet, doit faire l'objet d'un accusé de réception mentionnant les voies et délai de recours. A défaut d'un tel accusé de réception, ces voies et délai de recours ne sont pas opposables à l'étranger qui est dès lors recevable à contester la décision implicite de rejet née du silence gardé par le préfet sur sa demande, sous réserve que cette décision ne présente pas un caractère confirmatif.
Conséquences du défaut d'accusé réception de la demande d'admission provisoire au séjour au titre de l'asile
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Décision de justice
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Résumé
Conclusions du rapporteur public
Virginie Chevalier-Aubert
Rapporteur public à la cour administrative d'appel de Lyon
DOI : 10.35562/alyoda.6177
1 M.et Mme X. sont des ressortissants ukrainiens entrés en France le 12 juillet 2005. Ils ont présenté des demandes d’asile rejetées le 14 octobre 2006 par l’OFPRA, rejet confirmé par la commission de recours des réfugiés le 20 novembre 2006.
Une demande de réexamen a été rejetée par l’OFPRA le 11 mai 2007, rejet confirmé le 6 septembre 2010 par la Cour nationale du droit d’asile.
Le 29 octobre 2010 ils ont sollicité la délivrance d’autorisations provisoires de séjour en qualité de demandeurs d’asile pour qu’il soit procédé à un nouvel réexamen de leur demande.
Le tribunal administratif de Lyon, dans un jugement en date du 11 juillet 2013, a estimé qu’en l’absence de décisions explicites du préfet du Rhône, chacune de leurs demandes s’est trouvée implicitement rejetée à l’expiration d’un délai de quinze jours, soit le 23 novembre 2010 et qu’ainsi le délai imparti aux requérants pour contester ces décisions implicites expirait deux mois après l’intervention de ces décisions implicites, soit le 24 janvier 2011, alors même que leurs demandes d’autorisations provisoires de séjour n’auraient pas fait l’objet d’un accusé de réception.
Cette affaire pose la question très intéressante de la délivrance d’un accusé de réception prévu par le décret du 6 juin 2001 dans l’hypothèse d’une décision implicite de rejet de la demande d’autorisation provisoire de séjour en matière d’asile.
2 Sur la tardiveté des demandes des demandes de première instance
M. et Mme X. soutiennent qu’aucun délai de recours contentieux ne pouvait leur être opposé dès lors que le préfet n’a pas accusé réception de leurs demandes et ne les a donc pas informés du délai à l’issue duquel une décision implicite était susceptible de naître et selon quelle voie et dans quel délai une telle décision pouvait être contestée.
Aux termes de l’article R742-1 du CESEDA : « Dans un délai de quinze jours après qu’il a satisfait aux obligations prévues à l’article R.741-2, l’étranger est mis en possession d’une autorisation provisoire de séjour portant la mention « en vue de démarches auprès de l’OFPRA » (…) ».
Il convient de rappeler que par l’arrêt de plénière du 20 mars 2012 (n° 011LY02283 Préfet du Rhône classé en R) la cour administrative d’appel de Lyon a estimé, aux conclusions contraires du rapporteur public M. Monnier, qu’en l’absence de réponse du préfet dans un délai de 15 jours le préfet peut être regardé comme ayant pris une décision implicite de refus d’autorisation provisoire de séjour.
Il a été précisément jugé que « compte tenu de la nature particulière du droit d’asile, de la protection dont doivent bénéficier ceux qui le sollicitent et de l’exigence d’un traitement diligent des demandes, dans l’intérêt tant de leurs auteurs que de la préservation de l’ordre public, l'autorité compétente, saisie d’une demande d'admission au bénéfice du statut de réfugié satisfaisant aux conditions prévues à l’article R. 741-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, doit, au plus tard dans le délai de quinze jours prescrit à l'article R. 742-1 du même code, mettre le demandeur d'asile en possession d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce qu'il ait été statué sur cette demande, sans préjudice, le cas échéant, de la mise en œuvre des dispositions de l'article L. 741-4 dudit code ; que le demandeur d’asile qui, à l’expiration de ce délai de quinze jours, n’est pas mis en possession d'une autorisation provisoire de séjour peut se prévaloir d’une décision implicite de rejet, dont il est recevable à demander l’annulation au juge de l’excès de pouvoir ».
L’interprétation à donner à cet article R742-1 du CEDEDA n’est pas évidente.
L’article 21 de la loi du 12 avril 2000 pose la règle selon laquelle « le silence gardé pendant plus de deux mois par l'autorité administrative sur une demande vaut décision de rejet », et ajoutait que « Lorsque la complexité ou l'urgence de la procédure le justifie, des décrets en Conseil d'Etat prévoient un délai différent. ».
La cour administrative d’appel a fait une interprétation constructive de l’article R741-2 du CESEDA qui peut s’avérer délicate lorsqu’il s’agit de l’articuler avec d’autres dispositions, notamment avec celles relatives à l’accusé de réception et du délai de recours contentieux.
Ainsi, dans l’arrêt de plénière précité, il est insisté sur la nature particulière du droit d’asile, sur la protection qui doit bénéficier à ceux qui le sollicitent.
On retrouve aussi ce principe de protection renforcée du demandeur d’asile dans la directive 2005/85/CE du Conseil du 1er décembre 2005 relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres.
Le préfet du Rhône se prévaut des dispositions de l’article 3 du décret n° 2001-492 du 6 juin 2001 pris pour l’application du chapitre II du titre II de la loi du 12 avril 2000 aux termes duquel« L'accusé de réception n'est pas délivré : 1° Lorsqu'une décision implicite ou expresse est acquise en vertu des lois et règlements au profit du demandeur, au terme d'un délai inférieur ou égal à quinze jours à compter de la date de réception de la demande ; 2° Lorsque la demande tend à la délivrance d'un document ou au service d'une prestation prévus par les lois et règlements pour laquelle l'autorité administrative ne dispose d'aucun autre pouvoir que celui de vérifier que le demandeur remplit les conditions légales pour l'obtenir ».
Il serait paradoxal que le demandeur d’asile, qui n’est pas en quelque sorte « un administré comme les autres », qui est surprotégé par le droit national et le droit de l’union européenne, parce qu’une décision implicite de rejet peut naître en 15 jours sur sa demande d’APS en qualité de demandeur d’asile, ne puisse bénéficier de la garantie de se voir délivrer un accusé de réception et de se voir informé des voies et délais de recours.
D’autant que ce délai de 15 jours n’est pas explicitement et formellement prévu par les lois et les règlements, la cour a dû, en formation plénière, se fonder sur un ensemble de dispositions et de considérations générales sur le droit d’asile pour pouvoir considérer que ce délai de 15 jours s’appliquait.
D’autant aussi, que le législateur est très attaché à cette protection de l’administré en général.
L’article 19 de la loi du 12 avril 2000 exige ainsi que toute demande adressée à une autorité administrative fasse l’objet d’un accusé de réception sauf exceptions limitativement énumérées et que nous le citons « Les délais de recours ne sont pas opposables à l'auteur d'une demande lorsque l'accusé de réception ne lui a pas été transmis ou ne comporte pas les indications prévues par le décret mentionné au premier alinéa. »
L’article 1er du décret précité dispose que l’accusé de réception prévu de la loi du 12 avril 2000 indique si la demande est susceptible de donner lieu à une décision implicite de rejet ou une décision implicite d’acceptation.
Il est prévu dans le premier cas, celui d’une décision implicite de rejet, que l’accusé de réception mentionne les délais et voies de recours à l’encontre de cette décision.
Il est jugé par le CE que l’accusé de réception comportant la mention des voies et délais de recours constitue le point de départ du délai de recours (CE 19/02/2003 Préfet de l’Hérault n° 243427) .
Si, comme pour la plupart des autres décisions, le délai pour que naisse une décision implicite de rejet était de deux mois, en l’absence d’accusé de réception, le délai de recours contentieux n’aurait pas été opposable.
Il convient donc de s’interroger très précisément, sur la portée des dispositions du premier alinéa de l’article 3 du décret précité. « L'accusé de réception n'est pas délivré : 1° Lorsqu'une décision implicite ou expresse est acquise en vertu des lois et règlements au profit du demandeur ».
Comme vous le savez les dérogations sont d’interprétations strictes.
Nous pensons que l’emploi des termes de décision « acquise » « au profit du demandeur » n’est pas neutre.
Même si le terme de décision implicite d’acceptation ou de rejet n’est pas visé, dans l’article 3, comme n’est d’ailleurs pas visé dans l’article R742-1 du CESEDA le terme de décision implicite de rejet, l’article 3 ne fait référence selon nous en l’espèce qu’aux seules décisions implicites d’acceptation ou d’autorisation acquises dans un délai de 15 jours ou inférieur à 15 jours.
Dans la jurisprudence en ce qui concerne d’autres décisions implicites, nous retrouvons l’emploi des termes « d’acquise au profit de »… pour des autorisations implicites (elle confère des droits acquis) (voir par ex pour une autorisation d’installation sur une exploitation agricole CE 25 mars 1994 n° 117459, voir aussi les arrêts pour les autorisations de licenciement ou les permis de construire tacites acquis à l’expiration d’un certain délai.)
Ainsi nous pensons, qu’en l’espèce, les décisions implicites de rejet des demandes d’autorisations provisoires de séjour qui seraient nées 15 jours après la réception des courriers de M.et Mme X. par le préfet ne constituent pas des décisions implicites acquises en vertu des lois et règlements au profit des demandeurs conformément aux dispositions de l’article 3 précité.
Le Conseil d’Etat s’est prononcé sur le cas d’un demandeur ayant sollicité communication des motifs d’une décision dans un arrêt du 17 décembre 2010 aux conclusions de Mme Liebert., n° 314431
Il a été jugé, dans cette affaire, que le manquement à l'obligation de mention des voies et délais du recours contentieux, telle que celle prévue s'agissant de l'accusé de réception mentionné par l'article 1er du décret n° 02001-492 du 6 juin 2001, pris pour l'application de l'article 19 de la loi n° 02000-321 du 12 avril 2000, a pour conséquence de faire obstacle à ce que le délai à l'intérieur duquel doit en principe être exercé le recours contentieux contre une décision administrative soit opposé au requérant.
En l’espèce, M. et Mme X. ont sollicité le réexamen de leurs demandes d’asile par courriers du 29 octobre 2010, reçus par le préfet du Rhône le 8 novembre 2010.
Il n’est ni établi ni même allégué que leurs demandes n’étaient pas complètes.
En l’absence de réponse du préfet du Rhône à ces demandes, des décisions implicites de refus d’autorisation provisoire de séjour sont nées le 23 novembre 2010, à l’issue du délai de quinze jours prévus par les dispositions de l’article R742-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
Il est constant que le préfet du Rhône n’a pas accusé réception des demandes présentées par les requérants. Dès lors, le délai de recours de deux mois prévu à l’article R421-2 du code de justice administrative n’était pas opposable à M. et Mme X..Ainsi, si vous nous suivez, vous considérerez que les demandes de M.et Mme X., enregistrées le 10 novembre 2011 au greffe du Tribunal administratif de Lyon n’étaient pas tardives.
Vous devrez ainsi annuler le jugement et vous pourrez évoquer.
3. Sur la communication des motifs
Les requérants font valoir que les motifs des décisions ne leur ont pas été communiqués suite à leurs demandes du 12 septembre 2011.
En vertu de l’article 5 de la loi du 11 juillet 1979, une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n’est pas illégale du seul fait qu’elle n’est pas motivée, mais à la demande de l’intéressé, les motifs doivent lui être communiqués dans un délai d’un mois.
Il a été jugé par le Conseil d’Etat dans le cas d’une décision implicite que l’absence de communication des motifs entache la décision implicite initiale d’un vice de forme (CE 29 mars 1985, N° 45311, rec. p. 93) .
Par un courrier du 12 septembre 2011, reçu le 19 septembre 2011 par le préfet du Rhône, M. et Mme X. ont demandé les motifs des décisions de refus d’autorisation provisoire de séjour nées le 24 novembre 2010.
Il est constant que le préfet du Rhône n’a pas répondu à ces demandes dans le délai d’un mois qui lui était imparti.
Le préfet ne peut utilement faire valoir que les demandes des requérants auraient été formulées hors du délai de recours contentieux, en méconnaissance des dispositions précitées de l’article 5 de la loi du 11 juillet 1979 modifiée, dès lors que le délai de recours contentieux de deux mois prévu à l’article R421-2 du code de justice administrative n’était pas opposable en l’espèce aux requérants.
Vous pourrez donc annuler les décisions implicites de refus d’autorisation provisoire de séjour opposées par le préfet du Rhône à M. et Mme X. sans vous prononcer sur l’autre moyen présenté par les requérants.
4. Sur les conclusions à fin d’injonction et d’astreinte
L’annulation des décisions portant refus de délivrer à M. et Mme X. des autorisations provisoires de séjour implique seulement que le préfet du Rhône réexamine la situation des requérants sans qu’il soit besoin d’assortir cette injonction d’une astreinte.
Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat, partie perdante, le versement à M. et Mme X. d’une somme de 1 000 euros en application de l’article L761-1 du code de justice administrative.
Par ces motifs, nous concluons à l’annulation du jugement attaqué, à l’annulation des décisions implicites de rejet des demandes d’admission provisoire au séjour en qualité de demandeur d’asile, à ce que le préfet du Rhône réexamine la situation des requérants dans un délai de 8 jours à compter de la notification de l’arrêt, à ce que l’Etat verse la somme de 1 000 euros à M.et Mme X. en application de l’article L761-1 du code de justice administrative et au rejet du surplus des conclusions des parties.
Droits d'auteur
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