L’expression des conseillers municipaux d’opposition n’est pas réservée aux seuls conseillers appartenant aux groupes d’opposition

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Décision de justice

CAA Lyon, 3ème chambre – N° 12LY01424 – 07 mars 2013 – C

Juridiction : CAA Lyon

Numéro de la décision : 12LY01424

Numéro Légifrance : CETATEXT000027164260

Date de la décision : 07 mars 2013

Code de publication : C

Index

Mots-clés

L.2121-27-1 du CGCT, Expression des conseillers municipaux, Conseillers municipaux d’opposition

Rubriques

Institutions et collectivités publiques

Résumé

L’expression des conseillers municipaux d’opposition n’est pas réservée aux seuls conseillers appartenant aux groupes d’opposition. Il résulte des dispositions de l’article L. 2121-27-1 du code général des collectivités territoriales qu’il appartient au conseil municipal de déterminer les conditions de mise en œuvre du droit d’expression des conseillers municipaux d’opposition dans les bulletins d’information générale portant sur les réalisations et la gestion du conseil municipal. En l’espèce, la Cour considère que le règlement de la commune d’Annemasse méconnaît les dispositions de l’article L. 2121-27-1 du code général des collectivités territoriales dès lors qu’il prévoit la limitation de l’expression des conseillers municipaux d’opposition aux seuls conseillers appartenant aux groupes d’opposition alors même que les conseillers ne sont pas tenus d’appartenir à un groupe et qu’ils jouissent de la faculté de décider de leur appartenance à un groupe d’opposition ou de s’opposer individuellement à la politique menée par la municipalité.

Conclusions du rapporteur public

Cathy Schmerber

Rapporteur public à la cour administrative d'appel de Lyon

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DOI : 10.35562/alyoda.6072

La jurisprudence a reconnu l’existence du droit d’expression des élus, avant même que la loi ne le consacrât (CE 25 mai 1988 n° 56575 décision portant sur l’intervention en conseil municipal sur les questions inscrites à l’ordre du jour et constatant qu’en l’espèce l’atteinte à ce droit n’était pas établie).

S’agissant plus particulièrement de l’une des formes que peut revêtir cette liberté dans les publications municipales, les dispositions applicables sont désormais celles de la loi précitée du 27 février 2002 codifiées à l’article L2121-27-1 du code général des collectivités territoriales. Elles prévoient que, dans les communes de 3.500 habitants et plus, « lorsque la commune diffuse, sous quelque forme que ce soit, un bulletin d’information générale sur les réalisations et la gestion du conseil municipal, un espace est réservé à l’expression des conseillers n’appartenant pas à la majorité municipale ». Le texte renvoie aux règlements intérieurs le soin de définir les modalités d’application de cette disposition, règlements intérieurs dont l’article L2121-8 du code général des collectivités territoriales prescrit l’établissement dans les six mois suivant l’installation du conseil municipal, dans les communes de 3 500 habitants et plus.

Forte de plus de 30 000 habitants, la COMMUNE D’ANNEMASSE est concernée par l’un et l’autre de ces articles : par une délibération du 25 septembre 2008, son conseil municipal a adopté son règlement intérieur, dont l’article 31 prévoit notamment que « Des espaces d’expression politique sont réservés dans le journal d’informations municipales (JIM) aux trois groupes issus du résultat des élections municipales de mars 2008 », que « les deux groupes de l’opposition disposeront d’un espace spécifique (…) correspondant à 1/2 page chacun, soit environ un titre et 2800 signes par groupe », que «  le groupe de la majorité disposera par ailleurs, sur une autre page, d’un espace d’expression politique égal à un titre et 2800 signes ».

Deux conseillers municipaux d’opposition, M. B. et M. M. ont obtenu l’annulation de cet article 31 du règlement intérieur du conseil municipal, par un jugement du Tribunal administratif en date du 29 mars 2012, dont la COMMUNE D’ANNEMASSE relève régulièrement appel.

Les dispositions de l’article 31 dont nous avons rappelé la teneur étaient contestées sous plusieurs angles, dont celui de l’attribution d’un espace d’expression aux conseillers municipaux appartenant à la majorité : il résulte de la jurisprudence désormais bien établie de la CAA de Marseille, à laquelle nous souscrivons et qu’aucune décision du Conseil d’Etat n’est à notre connaissance venue consacrée – que « ni les dispositions de l’article L2121-27-1 du code général des collectivités territoriales, qui se bornent à imposer un espace d’expression dédié aux conseillers n’appartenant pas à la majorité municipale, ni les travaux parlementaires préalables à leur adoption, ne font obstacle à ce qu’un tel espace soit également ouvert dans le journal municipal aux élus de la majorité » (CAA Marseille 16 décembre 2010 n° 08MA05127 « Commune de Montpellier » ou 19 janvier 2012 n° 10MA02058 « Commune de Roquefort-les-Pins »).

Les parties discutent devant vous de cette partie du dispositif du jugement attaqué, mais nous pensons que votre Cour n’est pas saisie de la question : la COMMUNE D’ANNEMASSE vous demande certes de confirmer le jugement attaqué dans ces dispositions relative à l’espace d’expression attribué aux élus de la majorité, mais tel n’est pas l’office du juge d’appel ; MM. B. et M. reprennent quant à eux leur argumentation tendant à démontrer l’illégalité de l’attribution de cet espace d’expression, sans présenter de conclusions incidentes, qui auraient, en tout état de cause été irrecevables, dès lors que les requérants de première instance ont obtenu entièrement satisfaction. Les premiers juges ont en effet annulé dans sa totalité l’article 31 du règlement intérieur du conseil municipal d’Annemasse, en se fondant sur le caractère indivisible de ses dispositions, non contesté en appel.

Ainsi, seul vous intéresse dans un premier temps le moyen d’annulation retenu par les premiers juges ; ce n’est donc que dans l’hypothèse où vous décideriez de ne pas les confirmer dans leur raisonnement et/ou leur appréciation concernant ce moyen que vous seriez appelés à vous prononcer, au titre de l’effet dévolutif de l’appel, sur les autres moyens invoqués par MM. B. et M. La même conclusion s’impose pour leur argumentation, reprise en appel, relative à l’insuffisance de l’espace accordée aux conseillers municipaux n’appartenant pas à la majorité.

Venons-en précisément au moyen d’annulation retenu dans le jugement attaqué : les premiers juges ont considéré que les dispositions de l’article L2121-27-1 du code général des collectivités territoriales « n’autorisent pas à limiter l’attribution d’espaces d’expression aux seuls groupes politiques éventuellement constitués au sein du conseil municipal », pour en déduire qu’en « réservant l’espace dévolu dans les bulletins municipaux aux conseillers n’appartenant pas à la majorité municipale aux seuls conseillers membres de groupes politiques, la délibération attaquée a méconnu » ces dispositions.

Pour tenter de vous convaincre en appel de l’erreur de droit commise par les premiers juges, la COMMUNE D’ANNEMASSE procède à une analyse combinée des dispositions de l’article L2121-27-1 et de l’article L2121-28 du code général des collectivités territoriales, applicables aux communes de plus de 100 000 habitants. Elle fait ainsi valoir que si l’article L2121-27-1 utilise pour ce qui concerne l’espace d’expression réservé à la minorité le terme de « conseiller », l’article L2121-28 mentionne la constitution de « groupes d’élus » ; affirmant que les conseils municipaux des communes de plus de 100 000 habitants ne peuvent pas réserver des espaces d’expression aux conseillers, elle en déduit que l’article L2121-27-1 n’interdit pas aux communes de réserver les espaces d’expression de la minorité aux groupes d’élus. A l’appui de sa démonstration, elle tire encore argument des modes de scrutin applicables selon qu’une commune atteint ou non le seuil des 3 500 habitants.

Sur ce dernier point, vous suivrez dans son raisonnement, la CAA de Versailles, qui a jugé illégales les dispositions d’un règlement intérieur du conseil municipal attribuant le droit d’expression dans le journal municipal des conseillers n’appartenant pas à la majorité municipale en fonction de leur appartenance aux listes ayant obtenu des élus lors des dernières élections municipales (13 décembre 2007 n° 06VE00383 « B. c/ Commune de Livry-Gargan ») . Les juges d’appel versaillais ont considéré que le conseil municipal avait ainsi retenu « des modalités d’accès au journal municipal nécessairement intangibles pendant toute la durée du mandat puisque fondées sur les résultats du scrutin, qui ne permettent pas de tenir compte des évolutions pouvant intervenir en cours de mandat entre majorité et opposition au sein du conseil municipal ».

Refusant d’admettre une nécessaire connexion entre les résultats du scrutin et le droit d’expression des élus, vous écarterez le moyen invoqué par la COMMUNE D’ANNEMASSE fondé sur le mode de scrutin applicable selon la taille de la commune concernée.

Nous vous proposons de confirmer les premiers juges en ajoutant votre pierre, une pierre nouvelle, à la jurisprudence relative à l’attribution par les conseils municipaux d’espace d’expression aux conseillers de la minorité.

Outre les arrêts précités de la CAA de Marseille, dont l’intérêt réside dans l’affirmation de la possibilité d’ouvrir également dans les publications municipales un espace d’expression aux élus de la majorité et celui de la CAA de Versailles précité, le juge administratif s’est essentiellement prononcé sur les modalités de mise en œuvre des dispositions de l’article L2121-27-1 du code général des collectivités territoriales.

Ainsi, une jurisprudence relativement abondante concerne la nature du support d’information municipale visé par ces dispositions ; nous ne citerons que l’arrêt rendu en formation plénière par la CAA de Versailles le 17 avril 2009 sous le n° 06VE00222 « De L. » et la décision du Conseil d’Etat du 28 janvier 2004 n° 256544 « Commune de Pertuis », aux conclusions de François Seners. D’autres décisions portent sur l’importance de l’espace d’expression attribué aux conseillers minoritaires, qui doit s’apprécier par rapport à la taille de la publication (CAA Versailles 8 mars 2007 n° 04VE03177 « Commune du Vésinet »).

Nous pensons que la présente affaire se prête au rappel des principes régissant la liberté d’expression des élus et à l’affirmation de l’application de ces principes au sujet particulier constituant le cœur du litige.

Nous l’avons dit, dans sa décision du 25 mai 1988 « X », le Conseil d’Etat a reconnu l’existence du droit d’expression des élus avant que ce doit ne fût inscrit, sous différentes formes dans la loi : une telle démarche de la plus haute juridiction administrative est le plus souvent réservée à l’affirmation de grands principes, de principes généraux ou de droits fondamentaux.

Cette décision du Conseil d’Etat est intervenue peu de temps après celle du Conseil Constitutionnel qui, s’inscrivant dans la continuité de l’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, affirme que la liberté d’expression ou, pour reprendre les termes exacts, « du droit de libre communication et de la liberté de parler, écrire et imprimer », qu’il s’agit « d'une liberté fondamentale, d'autant plus précieuse que son exercice est l'une des garanties essentielles du respect des autres droits et libertés et de la souveraineté nationale » (10 et 11 octobre 1984 n° 084-181 DC) : compte tenu de sa formulation, cette affirmation concerne la liberté d’expression d’une manière générale et dans sa globalité, non seulement le pluralisme des entreprises de presse concerné par la loi alors soumise au contrôle de constitutionnalité.

Il ne nous semble pas que le Conseil d’Etat ait expressément qualifié la liberté d’expression des élus locaux de liberté fondamentale : toutefois, sauf erreur de notre part, seul le défaut d’urgence a été opposé à des demandes adressées au juge des référés sur le fondement de l’article L521-2 du code de justice administrative, tendant au prononcé de mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale et concernant des refus d’insertion d’un article rédigé par un conseiller municipal d’opposition dans le bulletin municipal (CE juge des référés 28 février 2003 n° 254411  « Commune de Pertuis » ; 6 avril 2007 n° 304361 « Commune de Saint-Gaudens »).

La Cour européenne des droits de l’Homme accorde à la liberté d’expression des élus un degré de protection élevé, dans la mesure où « précieuse pour chacun, la liberté d’expression l’est tout particulièrement pour les partis politiques et leurs membres actifs » (CEDH 12 avril 2012 « X c/ France » n° 54216/09).

Le droit d’expression des élus – notamment locaux – mérite ainsi une protection particulière.

Vous pourriez affirmer que ce droit d’expression est un droit individuel, attaché à la qualité de membre de l’assemblée délibérante et appartenant à chaque élu, indépendamment de son appartenance ou non-appartenance à un quelconque groupe politique. Comme la liberté d’information, la liberté d’expression relève des « droits et prérogatives particulières qu’à titre individuel les élus qui ne font pas partie d’un groupe tiennent de leur qualité de membres de l’assemblée municipale » (CAA Nancy 4 juin 1998 n° 97NC02102 « Ville de Metz c/ Masson ») . Tout conseiller municipal a ainsi le droit de pouvoir disposer des conditions lui permettant de remplir pleinement son mandat (CAA Versailles 13 décembre 2007 n° 06VE00384 « B. », au sujet de la mise à disposition d’un local).

Les faits ayant donné lieu aux deux arrêts précités rendus par la CAA de Versailles le 13 décembre 2007 confirment bien le caractère individuel du droit d’expression des conseillers municipaux, en particulier de ceux n’appartenant pas à la majorité : M. B., l’élu contestant le règlement intérieur du conseil municipal, était bien seul et individuellement concerné puisque, élu conseiller municipal sur la liste majoritaire, il a par la suite démissionné du groupe correspondant et s’en est publiquement désolidarisé.

Précisons encore que contrairement à ce que semble considérer la COMMUNE D’ANNEMASSE, le choix du terme de « conseiller » n’est pas anodin dans l’article L2121-27-1 du code général des collectivités territoriales : l’article L4132-23-1 du même code, issu également de la loi du 27 février 2002, prévoit quant à lui, s’agissant du conseil général, l’attribution dans le bulletin d’information d’un espace d’expression aux « groupes d’élus » … Ce constat vient illustrer le principe selon lequel seul le législateur peut limiter le droit d’expression des élus locaux, liberté fondamentale et individuelle.

Le conseil municipal ne peut légalement, sur le fondement de l’article L2121-27-1 du code général des collectivités territoriales, décider de réserver l’espace d’expression dans le bulletin d’information municipale aux groupes d’élus, une telle limitation portant nécessairement atteinte au droit individuel de chacun des conseillers municipaux n’appartenant pas à la majorité et, plus particulièrement, à celui des élus n’appartenant à aucun groupe, étant rappelé que les conseillers municipaux ne sont pas tenus d’appartenir à un groupe, l’existence de groupe d’élus n’étant par ailleurs obligatoire que dans les communes de plus de 100 000 habitants (voir sur ce point également les arrêts du 13 décembre 2007 de la CAA de Versailles).

Par ces motifs, nous concluons au rejet de la requête.

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