Taxe sur les salaires assise sur la rémunération du directeur d'un EHPAD

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Décision de justice

CAA Lyon, 5ème chambre – N° 12LY01169 – Ministre du budget c / EHPAD de l’Yonne – 06 décembre 2012

Juridiction : CAA Lyon

Numéro de la décision : 12LY01169

Numéro Légifrance : CETATEXT000026788089

Date de la décision : 06 décembre 2012

Index

Mots-clés

Taxe sur les salaires, Rémunération des personnels de direction, EHPAD, Article 231 du code général des impôts

Rubriques

Fiscalité

Résumé

Les rémunérations des personnels de direction des établissements publics d’accueil pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) doivent-elles être incluses dans la base de calcul de ces établissements pour la taxe sur les salaires, en application des dispositions du 1 de l’article 231 du code général des impôts ?

La cour de Lyon est la première à se prononcer sur cette question.

Elle considère que l’établissement doit être regardé comme l’employeur de son directeur, au sens de l’article 231 du code général des impôts, nonobstant la circonstance que ledit directeur est statutairement nommé et géré par l’Etat (en application de l’article 4 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique et l’article 21 du décret du 26 décembre 2007 portant statut particulier du corps des directeurs d’établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux de la fonction publique ).

Conclusions du rapporteur public

Dominique Jourdan

Rapporteur public à la cour administrative d'appel de Lyon

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DOI : 10.35562/alyoda.6042

Les requêtes dont vous êtes saisis posent la même question de droit : les rémunérations des personnels de direction des établissements publics d’accueil pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) doivent-ils être inclus dans la base de calcul de ces établissements pour la taxe sur les salaires ?

Les dispositions applicables sont celles de l’article 231 du code général des impôts et de son 1 : « Les sommes payées à titre de rémunérations sont soumises à une taxe sur les salaires égale à 4, 25 % de leur montant, (…) et à la charge des personnes ou organismes, (…), qui paient ces rémunérations lorsqu'ils ne sont pas assujettis à la taxe sur la valeur ajoutée ou ne l'ont pas été sur 90 % au moins de leur chiffre d'affaires au titre de l'année civile précédant celle du paiement desdites rémunérations (…) »

Le texte définit donc le redevable de la taxe comme étant celui qui paie la rémunération. Mais la jurisprudence, quoique peu abondante sur la question posée par ces dossiers, et ancienne, établit une distinction entre le payeur et l’employeur, et retient, alors l’employeur comme seul redevable, sans pour autant en donner une définition précise.

La doctrine D.adm 5 L-121 du 1er juin 1985 citée définit l’employeur comme « celui qui détient le pouvoir de nommer et de révoquer le salarié et de lui donner des directives quant à l’exécution des tâches qui lui incombent ».

Les neufs dossiers sont rédigés en termes semblables et nos conclusions seront donc identiques. Ces dossiers ne font pas apparaître si la démarche des établissements sociaux et médico –sociaux publics de l’Yonne a été inspirée par les conseils de la société CTR. Cette société a conclu avec des établissements sociaux et médico-sociaux de l’Yonne en 2007 des conventions de recherche d’économies sur les charges sociales et fiscales. Ces conventions conclues dans le cadre d’une action de démarchage, en l’absence de mise en concurrence, avaient un prix fixé en proportion des économies devant être réalisées. Votre Cour a jugé, le 22 mars 2012 (N°s 11LY01393 et six autres affaires - aux conclusions de Camille Vinet), que la prestation réalisée par la société CTR relevait dans son ensemble d’une activité de consultation juridique. Elle en a déduit que les conventions reposaient sur une cause illicite, faute de qualification du cocontractant, intervenant ainsi en méconnaissance des dispositions de la loi n° 071-1130du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques. La prestation consistait en la vérification, au regard de la réglementation en vigueur, du bien-fondé des cotisations sociales versées aux organismes sociaux - et des taxes assises sur les salaires - payées par les EHPAD.

Venons-en donc au bien-fondé de cette taxe.

Les établissements dont il s’agit avaient sollicité la restitution d’une partie de la taxe sur les salaires qu’ils estimaient avoir acquitté à tort pour une période allant, selon les dossiers, de 2007 à 2010.

En première instance, ils ont obtenu satisfaction par des jugements distincts du tribunal administratif de Dijon en date du 31 janvier 2012, dont le ministre relève appel.

Les premiers juges ont considéré qu’il résultait des dispositions de code de l’action sociale et des familles, mais aussi de et de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière « que le conseil d’administration de l’EHPAD, alors même qu’il est consulté pour avis sur le choix du directeur et qu’il définit la politique générale de l’établissement en vertu des dispositions de l’article L315-12 du code de l’action sociale et des familles, est dépourvu des pouvoirs de rémunération, nomination, gestion et sanction du directeur de l’établissement. Ils en ont conclu que « l’Etat doit dès lors être regardé comme l’employeur, au sens de l’article 231 du code général des impôts, du directeur de l’établissement ».

Cette position est sans doute inspirée de la jurisprudence du Conseil d’Etat n°s 285066, 285067 et 285068 du 26 mai 2008 Ministre de l’économie et des finances / Greta aux conclusions de François Seners. Dans ces affaires qui concernaient les enseignants de l’éducation nationale affectés au sein des G.R.E.T.A., le conseil d’Etat à jugé que l’Etat reste l’employeur, nonobstant la circonstance que les Greta remboursent à l’Etat, sur leurs ressources propres, les rémunérations versées par celui-ci à ces agents. La citation dans cet arrêt de l’article 1er du décret du 25 octobre 1991, relatif aux modalités de service des personnels enseignants des premier et second degrés participant aux activités de formation continue organisées par le ministère chargé de l'éducation nationale et les conclusions du commissaire du gouvernement mettent en lumière les critères retenus :

- ces enseignants restent soumis aux règles statutaires qui les gouvernent et aucune dérogation n’affecte les liens avec l’Etat employeur, même pour ceux qui assurent à plein temps des activités de formation continue

- les GRETA ne recrutent pas les enseignants, ne les rémunèrent pas, ne fixent pas leurs conditions d'emploi ; ils ne décident pas de leur affectation et ne sont liés à eux par aucun contrat de travail.

Ces affaires se rapprochent de celles appelées ce jour à certains égards ; En effet, dans les établissements sociaux et médicaux publics, dont font partie les EHPAD, les directeurs sont nommés dans leur emploi par le ministre ou le directeur général du centre national de gestion (pour les postes d’adjoint), (décret n° 02007-1930 du 26 décembre 2007). Ces mêmes autorités détiennent le pouvoir de sanction, et les règles statutaires s’imposent, notamment en terme de rémunération.

Cette décision du 26 mai 2008 Greta mentionne, suite à la citation des textes : qu’il Il résulte des dispositions du 1 l’article 231 du code des impôts que la taxe sur les salaires est due par tout employeur à raison des rémunérations versées à ses employés, quelles que soient les modalités de paiement de celles-ci.

La jurisprudence, en utilisant la notion d’employeur, a, avant tout chercher à ne pas désigner le redevable de la taxe par le seul fait de verser le salaire. Elle s’écarte ainsi du texte de la loi, afin de traiter différemment les situations particulières dans le cas où le payeur, n’a aucun pouvoir de recrutement ni de commandement.

► Soit le payeur apparaît comme le simple mandataire de l’employeur :

Voyez CE 8 juillet 1963 n° 58073 à 58078, D. 1963 p. 709 : cas d’une caisse mutuelle de réassurance (non redevable) versant des rémunérations pour le compte de caisses locales.

Pour un cas semblable : Plén. 15 mai 1974, n° 88.294, D. 1974 p.303.

Voyez pour un cas inverse d’un salarié partagé entre deux entreprises : Plén. 21 juin 1972, n° 82014, D.1972 pp. 335 et 336, pour lequel le conseil d’Etat constate l’absence de mandant.

► Soit le payeur n’a aucun pouvoir de recrutement, de licenciement ni de direction :

Voyez CE 27 juin 1984, n° 38472 : il s’agit du cas d’un gérant salarié d’un magasin de vente de peinture et de papiers peints lié à une entreprise par un contrat qui lui laisse toute liberté pour embaucher et licencier le personnel chargé de l'assister dans la vente. Le conseil d’Etat considère que « Si les charges correspondant à l'emploi d'une « aide à la vente », que le gérant a recrutée lui sont remboursées intégralement chaque mois par l’entreprise et sont prises en compte dans la détermination de la marge nette du magasin, cette situation ne retire pas au gérant la qualité d'employeur.

Pour autant, le paiement des salaires reste un critère déterminant, dès lors que l’entité où est affectée le salarié présente une autonomie certaine, quel que soit le lien de subordination au sens juridique du terme

►Ainsi, alors même qu’une entité n’a pas de personnalité juridique et qu’elle est créée à l’initiative des services sociaux du ministère (cas d’un mess) elle est regardée comme l’employeur dès lors qu’elle assume de manière autonome son financement CE 21 mars 1958, n° 32511, D. 1958 p.294

► les salaires versés à un employé détaché à l’étranger par une entreprise française soumis à la taxe sur les salaires : Voyez CE 30 juin 1982, n° 22796, Plén. : " Considérant, enfin, qu'en vertu de l'article 231 précité du CGI, la taxe est due par tout employeur établi en France à raison des rémunérations qu'il paye à son personnel salarié, sans qu'il y ait lieu d'opérer des distinctions, que la loi ne fait pas, selon le lieu où il exerce son activité"

►Lorsque l’employeur est à l’étranger, les salaires versés en France sont taxables, dès lors que l’entité en France a une certaine autonomie. Voyez CE 15 Juillet 2004 N° 249801 Ministre / société Alitalia conclusions de Guillaume Goulard.

Nous vous invitons au vu de ces éléments, à regarder les établissements médico-sociaux publics comme en employeurs des personnels de direction (mais aussi en ce qui autres responsables médicaux qui ne seraient pas nommés par lui) au sens des dispositions du 1 de l’article 231 du code général des impôts.

Les HEPAD sont certes dépourvus des pouvoirs de rémunération, nomination, gestion et de sanction du directeur de l’établissement qui appartient à l’Etat. Ces éléments, non négligeables, ne sont paraissent pas déterminants en l’espèce en raison des caractéristiques propres à ces établissements sociaux et à l’autorité qu’ils exercent sur les personnels en cause.

► Ces établissements publics sociaux et médico-sociaux sont dotés de la personnalité morale. Leurs modalités d'organisation et de fonctionnement sont fixées par les articles L315-1 à L315-19 du Code de l'action sociale et des familles. Ils sont soumis pour leur création à procédure d’autorisation et sont soumis au contrôle de légalité.

Ils sont présidés selon le cas le président du conseil général ou le maire ou le président de l'établissement public de coopération intercommunale et sont composés de représentants de la collectivité, de représentants des usagers, de représentants du personnel et de personnes compétentes. Ils définissent leur propre politique, par l’élaboration d’un projet d’établissement.

► Le directeur n’est nommé qu’après avis du président du conseil d'administration (article L315-9 casf)) .

► Il a vocation à travailler dans des établissements publics sociaux et médico-sociaux

► le directeur est chargé d’exécuter les décisions du conseil d’administration. (article L315-15 et suivants du CASF), notamment celles relatives au budget et au projet d’établissement, décisions propres à l’établissement public. Il est donc placé sous une autorité fonctionnelle distincte de celle de l’Etat, et l’état de subordination du fait de la fonction exercée est caractérisé,

► le directeur est rémunéré par des ressources propres de la structure, soit pour l’essentiel par les deniers des personnes hébergées. Les établissements assurant l'hébergement des personnes âgées relèvent de l’article L.312-12 du code de l’action sociale et des familles. Ils ont, pour leur fonctionnement, passé une convention pluriannuelle avec le président du conseil général et le directeur général de l'agence régionale de santé. Ils sont financés, en application des dispositions de l’article L.314-2 du code de l’action sociale et des familles par : un forfait global de soins prenant en compte le niveau de dépendance moyen, un forfait global de dépendance prenant également le niveau de dépendance moyen d’un établissement fixé par le président du Conseil général, et versé par ce dernier aux établissements, et des tarifs journaliers afférentes aux prestations d’hébergement, fixés par le conseil général, à la charge des personnes hébergées. Ce dernier tarif, qui est de l’ordre de 50 euros par jour dans l’Yonne, peut être pris en charge par le service de l'aide sociale, sous réserve de la participation éventuelle des obligés alimentaires. C’est la part la plus élevée du prix de journée total.

En conclusion, l’existence d’une autonomie administrative et financière de l’HEPAD, et d’une autorité fonctionnelle des instances dirigeantes de ces établissements sur les personnels exécutant les taches de direction nous semblent, en l’espèce, déterminantes. L’HEPAD, qui assure le versement des rémunérations, doit être regardé, alors même qu’il ne possède pas de pouvoir de nomination et de sa sanction du directeur, comme employeur des personnels de direction au sens des dispositions du 1 de l’article 231 du code général des impôts.

Nous vous proposons donc de censurer le motif retenu par les premiers juges.

La doctrine citée par les requérants, que vous avez à examiner dans le cadre de l’effet dévolutif, n’ajoute pas à la loi puisqu’elle mentionne tant le pouvoir de nomination que celui de donner des consignes dans l’exécution des taches.

Vous ferez droit aux recours du ministre, après avoir écarté la fin de non-recevoir présentée en défense (à l’exception d’un dossier) Les dispositions de l’article R200-18 du LFP ne sanctionnent que le non-respect d’un délai de quatre mois pour introduire un recours, et non les transmissions entre services. Ce délai a été respecté.

Par ces motifs, nous concluons à l’annulation des jugements (ou à leur réformation lorsque le tribunal n’avait droit que partiellement à leur demande), à la remise à la charge des établissements sommes déchargées à tort et au rejet des conclusions présentées par les EPHAD en appel.

Telles sont nos conclusions dans ces affaires.

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