Il appartient au conseil régional, et non à son seul président, de fixer la capacité d’accueil des lycées, alors qu’il appartient au recteur de définir leur district de recrutement et à l’inspecteur d’académie de déterminer l’effectif maximum des élèves susceptibles d’y être accueillis. Si le recteur et l’inspecteur d’académie doivent tenir compte de la capacité d’accueil de chaque lycée pour l’exercice de leurs propres compétences, ils ne sauraient toutefois fonder leurs décisions sur une décision illégale par laquelle un président de conseil régional a cru pouvoir modifier lui-même la capacité d’accueil d’un établissement.
Compétence pour fixer la capacité d’accueil d’un établissement scolaire
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Résumé
Conclusions du rapporteur public
François Pourny
Rapporteur public à la cour administrative d’appel de Lyon
DOI : 10.35562/alyoda.6007
Des fissures et fractures ont été observées en 2007 sur certains éléments des bâtiments D et E du lycée Emmanuel Mounier à Grenoble. La Région Rhône-Alpes a diligenté des études pour en connaître les causes et les conséquences. Il est alors apparu que ces désordres, liés à une insuffisante stabilisation des sols, ne pourraient pas être corrigés et qu’une déconstruction de l’ouvrage sera nécessaire. Le président du Conseil régional aurait alors envisagé de fermer le lycée, ou, tout au moins, d’en fermer l’ensemble des classes de seconde, avant d’avertir le recteur par lettre du 25 janvier 2011 qu’il décidait de limiter la capacité d’accueil de l’établissement à 460 élèves pour la rentrée 2011. Le recteur de l’académie de Grenoble a naturellement tiré les conséquences de cette décision et, par une décision du 17 mai 2011, il a modifié le district de recrutement du lycée Emmanuel Mounier de Grenoble. L’inspectrice d’académie, directrice des services départementaux de l’éducation nationale de l’Isère a également tiré les conséquences de cette décision et elle a fixé, par un arrêté du 27 mai 2011, l’effectif maximum d’élèves pouvant être accueillis en classe de seconde dans chacun des lycées du département pour la rentrée 2011, en limitant ce nombre à 105 pour le lycée Emmanuel Mounier de Grenoble. Enfin, ces décisions ont eu des conséquences sur les décisions individuelles d’affectation de certains enfants pour la rentrée 2011. C’est ainsi que le jeune Axel G... s’est vu proposé une affectation en classe de seconde au lycée André Argouges, alors que son frère Sylvère poursuivrait ses études en classe de terminal S au lycée Emmanuel Mounier. Mme J..., mère de ces enfants, a demandé une dérogation en faisant valoir que son fils était domicilié en limite de secteur et qu’il suivait un enseignement musical, mais une affectation dérogatoire au lycée Emmanuel Mounier lui a été implicitement refusée par une décision du 29 juin 2011, l’informant que son enfant a été affecté au lycée Argouges.
Dans ce contexte le tribunal administratif de Grenoble a été saisi d’au moins quatre demandes, dont trois présentées pour Mme J..., mère du jeune Axel G..., et une présentée par M. Pierre M..., conseiller régional.
M. M... a demande l’annulation de la décision du président du conseil régional limitant à 460 le nombre des élèves susceptibles d’être accueillis au lycée Emmanuel Mounier pour la rentrée scolaire 2011, décision révélée par lettre du 25 janvier 2011 du président du Conseil régional en informant le recteur, alors que Mme J... a contesté la décision du recteur modifiant le district de recrutement du lycée Emmanuel Mounier et les décisions de l’inspectrice d’académie de l’Isère limitant à 105 le nombre des élèves susceptibles d’être accueillis en classe de seconde dans l’établissement et refusant d’accorder une dérogation au jeune Axel G....
Par son jugement nos 1103341, 1103441, 1103526 et 1104501 du 24 novembre 2011, le Tribunal administratif de Grenoble a statué sur l’ensemble de ses demandes en annulant l’ensemble des décisions attaquées, en tant qu’elles étaient contestées.
Les premiers juges ont considéré, à juste titre selon nous, qu’il n’appartenait pas au président du Conseil régional de fixer la capacité d’accueil des lycées, cette compétence relevant des compétences du conseil régional en application des dispositions de l’article L214-5 du code de l’éducation. Ils ont, en outre, considéré, par un motif surabondant, dont le bien-fondé nous paraît moins évident, que le président du Conseil régional avait entaché sa décision d’une erreur manifeste d’appréciation au motif que les désordres constatés n’affectaient pas la stabilité des immeubles, qui peuvent continuer à être exploités sous surveillance continue au moyen de capteurs de déplacement et d’inclinomètres, sous réserve d’une fermeture partielle d’une partie du bâtiment E. Ils ont ensuite considéré que les décisions contestées par Mme J... devaient être annulées par voie de conséquence de l’annulation de la décision du président du Conseil régional.
La Région Rhône-Alpes, qui n’avait pas valablement présenté de mémoire en défense en première instance, n’a pas estimé nécessaire d’interjeter appel de ce jugement en tant qu’il annule la décision du président du conseil régional fixant la capacité d’accueil de l’établissement. Le jugement attaqué est donc devenu définitif sur ce point.
En revanche, l’Etat a interjeté appel dudit jugement, en tant qu’il se prononce sur les décisions du recteur et de l’inspectrice d’académie.
Cet appel est recevable, l’Etat ayant justifié que la signataire de la requête, directrice des affaires juridiques du ministère de l’éducation nationale, avait compétence pour représenter le ministre devant les juridictions dans les instances ne relevant pas du contentieux des pensions ou de la compétence des services déconcentrés. Il nous semble en effet qu’en l’absence de dispositions contraires, la compétence pour représenter le ministre ne se limite pas seulement à la possibilité de signer les actes de procédure, mais qu’elle s’étend à la compétence pour décider de l’engagement même d’une action.
Sur la décision du 17 mai 2011, par laquelle le recteur a modifié le district de recrutement du lycée Emmanuel Mounier, le ministre soutient qu’il s’agit d’une mesure d’organisation du service insusceptible de recours et le recteur avait soutenu en première instance que Mme J... était dépourvue d’un intérêt suffisant pour la contester.
Nous vous proposons d’écarter ces deux fins de non-recevoir puisque la décision a des conséquences pour les particuliers dont les enfants sont scolarisés dans un collège qui passe du district de recrutement du lycée Emmanuel Mounier au district de recrutement d’un autre établissement. Par ailleurs, la qualité de parent d’un élève directement concerné par la modification du district de recrutement du lycée donne à Mme J... un intérêt suffisant pour contester cette modification.
Sur le fond du litige, le ministre soutient que le recteur peut prendre de manière autonome toute mesure qui lui paraît utile sur le fondement des compétences qu’il tient de l’article R222-25 du code de l’éducation et qu’il lui appartient notamment de veiller à la sécurité des personnes. Nous n’avons effectivement pas trouvé de dispositions faisant le lien entre les pouvoirs du conseil régional, qui a compétence pour définir la capacité d’accueil des établissements, et les pouvoirs du recteur, qui a compétence pour définir le district de recrutement des lycées, mais, s’il nous semble qu’un recteur peut toujours définir un district moins vaste que celui qu’autoriserait la capacité d’accueil d’un lycée, il ne peut pas, en sens inverse, définir un district plus vaste que celui permis par la capacité d’accueil de ce lycée. En l’espèce, le recteur n’avait pas besoin d’une décision du conseil régional pour limiter le district du lycée Emmanuel Mounier et il aurait pu prendre légalement la même décision, en se fondant sur les perspectives de travaux dans l’établissement ou sur d’autres motifs fondés en fait et en droit. Cependant, la décision du recteur ne comporte aucune motivation et le recteur lui-même vous indique, dans son mémoire en défense, que sa décision a été prise en raison de la décision du président du conseil régional de réduire la capacité d’accueil de l’établissement, elle-même motivé par la dangerosité de certains bâtiments. Il est donc possible de considérer, sans nous aventurer sur la dangerosité du bâtiment, que le recteur n’a fait que tirer les conséquences d’une décision du président du conseil régional réduisant la capacité d’accueil du lycée et que, cette décision du président du conseil régional étant illégale ainsi que l’a jugé le Tribunal administratif de Grenoble par son jugement devenu définitif sur ce point, la décision du recteur doit être annulée par voie de conséquence. Il nous semble donc que le ministre n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Grenoble a annulé la décision du recteur modifiant le district de recrutement du lycée Emmanuel Mounier.
Vous retrouverez la même problématique en ce qui concerne l’arrêté du 27 mai 2011 par lequel l’inspectrice d’académie a fixé l’effectif maximum d’élèves pouvant être accueillis en classe de seconde. Il est évident que l’inspectrice ne peut fixer un nombre excédant la capacité d’accueil de l’établissement et en l’espèce, l’arrêté attaqué est expressément motivé par la mention que les capacités ont été déterminées en fonctions des installations et des moyens disponibles. Le mémoire en défense fait également état de la décision du président du conseil régional de limiter la capacité d’accueil de l’établissement. Il nous semble donc que vous pourrez également considérer que cette décision a été prise sur la base d’une décision illégale.
Enfin, le refus de dérogation opposé à Mme J... est également lié aux décisions précédentes. Le ministre n’est donc pas fondé à soutenir que c’est à tort que l’ensemble des décisions attaquées ont été annulées.
Par ces motifs, nous concluons au rejet de la requête.
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