Transposition du secret médical au secret de l’instruction

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Décision de justice

CAA Lyon, 6ème chambre – N° 11LY01769 – Centre hospitalier de Bourg-en-Bresse / M. R. – 29 novembre 2012 – C+

Juridiction : CAA Lyon

Numéro de la décision : 11LY01769

Numéro Légifrance : CETATEXT000026726089

Date de la décision : 29 novembre 2012

Code de publication : C+

Index

Mots-clés

Communication des pièces, Principe du contradictoire, Rapport d’expertise, Secret médical

Rubriques

Santé publique

Résumé

Le juge administratif est tenu de joindre au dossier les éléments d’information spontanément produits par une partie, d’en ordonner la communication pour en permettre la discussion contradictoire et de statuer au vu de ces pièces. Ainsi, la Cour estime que le rapport d’expertise amiable établi à l’initiative de son assureur et produit par le centre hospitalier devait être communiqué et pouvait être utilisé par le juge administratif quand bien même celui-ci aurait contenu des informations couvertes par le secret médical.

Voir en ce sens CE, 25 octobre 2004, Société Francefert, n° 251930, B

Conclusions du rapporteur public

François Pourny

Rapporteur public à la cour administrative d’appel de Lyon

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DOI : 10.35562/alyoda.6000

M. I...., né en 1949, s’est fracturé le col du fémur lors d’une chute le 17 juillet 1992. Il a alors subi une première opération d’ostéosynthèse au centre hospitalier de Bourg-en-Bresse et il a pu regagner son domicile le 27 juillet suivant. Malheureusement, une reprise chirurgicale a été nécessaire, suite à un hématome, en octobre 1992, avant que l’absence de consolidation osseuse de la fracture ne conduise à retenir une indication de prothèse de hanche droite, mise en place le 4 décembre 1992. Les suites de cette troisième intervention chirurgicale ont été simples et M. I.... a pu reprendre son travail le 20 janvier 1993. Toutefois, suite à l’apparition de douleurs invalidantes à la hanche droite, M. I.... a consulté à la clinique du Parc où un changement de prothèse a été effectué le 30 mars 1993. Ce changement n’a pas eu les résultats escomptés et un diagnostic de descellement a été posé, ce qui conduit M. I.... à subir deux nouvelles interventions pour le changement de la tige fémorale, le 27 septembre 1993, puis pour l’ablation de fils métalliques, en décembre de la même année. La persistance des douleurs a encore entraîné un nouveau changement de tige fémorale, le 22 juin 1994, à la suite duquel M. I.... a pu reprendre son activité d’agent de sécurité jusqu’en 1997, date à laquelle un nouveau descellement a été diagnostiqué, entraînant un nouveau changement de prothèse le 1er juillet 1997, puis le 10 décembre 1997, avant la mise en place d’une prothèse totale de hanche le 16 octobre 1998. L’absence de consolidation fémorale et la persistance de douleurs ont alors laissé envisager un syndrome inflammatoire, d’où un nouveau retrait de la prothèse le 3 juillet 2001 à la Clinique du Parc, suivi d’une hospitalisation en service d’infectiologie au centre hospitalier de Bourg-en-Bresse, du 10 juillet au 1er août 2001, avant la réimplantation d’une prothèse, le 24 août 2001. Un nouveau changement de prothèse a encore eu lieu à la Clinique du Parc, le 26 mars 2002, lequel a été suivi d’une complication infectieuse aigüe, imposant une reprise chirurgicale le 9 avril 2002, mettant pour la première fois en évidence un staphylocoque doré. M. I.... a alors subi de nouveaux changements de prothèses et plusieurs antibiothérapies avant d’obtenir une consolidation de son état, avec une incapacité permanente partielle de 45 % le 10 juin 2004.

A la suite de cette longue série d’interventions chirurgicales et d’antibiothérapies, M. I.... a saisi le juge des référés du Tribunal de Grande Instance de Lyon d’une demande d’expertise. L’expert désigné a retenu l’existence d’une infection chronique de la hanche droite, probablement contractée dès les premières interventions au mois d’octobre 1992 au centre hospitalier de Bourg-en-Bresse, à l’origine de 65 % des complications subies par M. I...., et d’une infection aigüe apparue à la Clinique du Parc en 2003, responsable des 35 % restant.

Sur cette base, M. I.... a saisi le Tribunal administratif de Lyon d’une demande indemnitaire tendant à la condamnation du centre hospitalier de Bourg-en-Bresse au versement d’une somme de 592 995, 77 euros en réparation des préjudices résultant de l’infection nosocomiale qu’il aurait contractée dans cet établissement.

Le Tribunal administratif de Lyon lui a donné partiellement satisfaction, par le jugement n° 0901852 du 10 mai 2011, en condamnant le centre hospitalier de Bourg-en-Bresse à verser à M. I.... une somme de 297 038 euros, en réparation de l’ensemble de ses préjudices, outre 1000 euros au titre de l’article L761-1 du code de justice administrative, le centre hospitalier de Bourg-en-Bresse étant également condamné à rembourser une somme de 27 068 euros à la caisse primaire d’assurance maladie de l’Ain, outre 966 euros au titre de l’article L 376-1 du code de la sécurité sociale.

Ce jugement a été notifié au centre hospitalier de Bourg-en-Bresse le 17 mai 2011 et ledit centre hospitalier en a interjeté appel par une télécopie, enregistrée à votre greffe le 13 juillet 2011, confirmée par un courrier enregistré le 18 juillet 2011. La caisse primaire d’assurance maladie de l’Ain et M. I.... ont ensuite présenté des conclusions d’appel incident afin d’obtenir une majoration des condamnations prononcées en leur faveur.

La recevabilité de l’appel du centre hospitalier est contestée par M. I...., qui soutient que la requête formée par fax serait irrecevable car elle ne comporterait pas la signature de son auteur et ne serait pas accompagnée d’une copie du jugement attaqué et d’un nombre suffisant d’exemplaires. Ces fins de non-recevoir sont manifestement infondées puisque vous admettez qu’une télécopie présentée dans le délai d’appel est susceptible d’être régularisée après expiration de ce délai. En tout état de cause, le délai d’appel est un délai franc, le jugement notifié au centre hospitalier de Bourg-en-Bresse le 17 mai 2011 pouvait donc être contesté par la voie d’un appel principal de ce centre hospitalier jusqu’au 18 juillet 2011, date d’enregistrement de la requête sommaire, laquelle était accompagnée, comme l’était d’ailleurs la télécopie adressée à la cour, d’une copie du jugement attaqué. L’original de cette requête sommaire est signé, même si la signature est illisible, et il comprend un exposé sommaire des faits, des moyens, ainsi que l’énoncé des conclusions présentées à la Cour. Par ailleurs, cette requête sommaire a été suivie du mémoire complémentaire annoncé, lequel a été reçu par télécopie le 26 septembre 2011 et par courrier le 27 septembre 2011.

Le problème en l’espèce est que ce mémoire complémentaire contient un rapport, en date du 12 septembre 2011, par lequel un expert, mandaté par la Société hospitalière d’assurances mutuelles, assureur du centre hospitalier de Bourg-en-Bresse, fait part de ses conclusions après un examen critique du dossier de M. I...., ce qui apporte au dossier un éclairage nouveau, après expiration du délai d’appel, à partir de pièces couvertes par le secret médical, pièces qui auraient été communiquées à ce médecin sans l’accord de M. I.....

L’expiration du délai d’appel ne fait pas obstacle à ce que les parties produisent des éléments nouveaux à l’appui des moyens qu’ils ont présenté dans le délai d’appel et la circonstance que le rapport du docteur D…., mandaté par la Société hospitalière d’assurances mutuelles, a été rédigé après expiration du délai d’appel est sans incidence sur la régularité du versement de ce rapport aux débats. Par ailleurs, même si la juridiction administrative se montre particulièrement soucieuse du respect du secret médical, vous pourrez voir en ce sens CE 31 mai 1989 n° 35296, publiée au recueil, ou CE 13 janvier 1999 n° 177913, mentionnée au recueil, il nous semble qu’il ne vous appartient pas d’écarter des débats des pièces versées au dossier à la suite d’une éventuelle méconnaissance de ce secret. Vous pourrez voir en ce sens, s’agissant du secret de l’instruction CE 26 octobre 1973 élections municipales de Villeneuve-sur-Lot. A titre subsidiaire, vous pourriez également retenir qu’une ordonnance du juge des référés du Tribunal de Grande Instance de Lyon avait permis à l’expert désigné par cette ordonnance de se faire remettre tous documents utiles et notamment l’entier dossier médical de M. I...., sans que puisse lui être opposé le secret médical, et que la SHAM, assureur du centre hospitalier, étant présente à cette expertise, elle avait donc la possibilité d’avoir connaissance par les médecins de son choix de l’entier dossier médical de l’intéressé, ce qui était indispensable à la défense des droits du centre hospitalier de Bourg-en-Bresse. Nous vous proposons donc de ne pas écarter le rapport du docteur D…. des débats.

Il résulte de ce rapport, dont les énonciations ne sont pas sérieusement contredites, que l’échec des interventions chirurgicales pratiquées en 1992 au centre hospitalier de Bourg-en-Bresse est susceptible de s’expliquer par d’autres causes que l’existence d’une infection nosocomiale, le patient souffrant déjà de diverses pathologies susceptibles de faire obstacle à l’ostéosynthèse recherchée. Il résulte ensuite de ce rapport que si une infection nosocomiale avait été contractée au centre hospitalier de Bourg-en-Bresse en 1992, cette infection aurait nécessairement été détectée au cours des interventions chirurgicales ultérieures à la Clinique du Parc, l’existence d’une infection constituant en outre une contrindication importante pour les interventions en question.

Sachant qu’il appartient à M. I.... d’établir qu’il a été victime d’une infection nosocomiale, il nous semble, eu égard au délai séparant les interventions subies au centre hospitalier de Bourg-en-Bresse en 1992 et la première mention d’un syndrome inflammatoire dans un courrier du 17 mars 2000, à l’existence d’autres facteurs susceptibles d’expliquer l’échec des multiples interventions chirurgicales subies par M. I...., sans oublier le fait que l’intéressé est susceptible d’avoir été contaminé au cours des interventions qu’il a subies à la Clinique du Parc à compter de 1993, que le centre hospitalier de Bourg-en-Bresse est fondé à soutenir que M. I.... ne peut pas être regardé comme apportant la preuve dont il a la charge de ce qu’il a été victime d’une infection nosocomiale susceptible d’engager la responsabilité du centre hospitalier de Bourg-en-Bresse.

Par suite, nous vous proposons d’annuler le jugement attaqué, sans qu’il soit besoin de statuer sur la régularité dudit jugement, lequel était suffisamment motivé, et de rejeter l’ensemble des conclusions présentées pour M. I.... et la caisse primaire d’assurance maladie de l’Ain, tant en première instance qu’en appel.

Par ces motifs, nous concluons à l’annulation du jugement attaqué et au rejet des conclusions présentées en première instance et en appel pour M. I.... et la caisse primaire d’assurance maladie de l’Ain.

Droits d'auteur

Ces conclusions ne sont pas libres de droits. Leur citation et leur exploitation commerciale éventuelles doivent respecter les règles fixées par le code de la propriété intellectuelle. Par ailleurs, toute rediffusion, commerciale ou non, est subordonnée à l’accord du rapporteur public qui en est l’auteur.

Le secret médical face au principe du contradictoire

Sébastien Bracq

Avocat au Barreau de Lyon

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DOI : 10.35562/alyoda.6001

La Cour administrative d'appel de Lyon apporte un éclairage nouveau sur la prise en compte du secret médical par les magistrats administratifs.

La Cour administrative d'appel de Lyon était saisie du recours formé par le Centre hospitalier (CH ci-après) de Bourg-en-Bresse et dirigé contre le jugement du Tribunal administratif de Lyon n° 0901852 du 10 mai 2011 par lequel ce dernier l'a condamné à verser des sommes de 297 038 euros à M. A et 27 068 euros à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM ci-après) de l'Ain, ainsi qu'une somme de 966 euros à cette dernière en application de l'article L376-1 du code de la sécurité sociale.

A la suite d'une chute survenue le 17 juillet 1992, M. A a été admis au CH de Bourg-en-Bresse où il lui fut diagnostiqué une fracture du col du fémur droit pour laquelle a été pratiquée une ostéosynthèse.

Ce dernier a été de nouveau hospitalisé à deux reprises dans cet établissement.

M. A a ensuite subi de nouvelles opérations entre septembre 1993 et juin 1994 avant de reprendre son activité professionnelle pendant près de trois années. Néanmoins, l'intéressé a de nouveau fait l'objet de reprises chirurgicales à la clinique du Parc à compter du mois de juin 1997. En avril 2002, une complication infectieuse aigüe est détectée conduisant à l'explantation totale de sa prothèse le 1er octobre 2002.

Le Tribunal administratif de Lyon a, le 7 juillet 2005, nommé un expert qui a retenu une probable infection chronique de la hanche droite vraisemblablement contractée dès les premières interventions du mois d'octobre 1992 au CH de Bourg-en-Bresse. Cette infection s’étant compliquée secondairement d'un sepsis aigu à staphylocoque doré contracté dans une structure privée.

A la lumière de cette expertise, le Tribunal administratif de Lyon a, par son jugement attaqué, estimé que le CH de Bourg-en-Bresse était responsable à hauteur de 65% de l'infection primaire consolidée au 10 juin 2004 contractée par M. A.

Le Tribunal a condamné le CH à lui verser une indemnité de 297 038 euros ainsi qu'une somme de 27 078 euros à la CPAM de l'Ain.

Par le biais d'appels incidents, la victime, M. A, a demandé à la Cour de confirmer le jugement attaqué et de porter son indemnité à 583 245, 77 euros ; la CPAM de l'Ain demandant pour sa part que son indemnité soit portée à de 206 091, 98 euros outre l'indemnité forfaitaire de 997 euros prévue par l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.

Dans le cadre de cette procédure, les juges de la Cour ont eu à examiner le moyen soulevé par la victime selon lequel le secret médical ferait obstacle à la production, par l'établissement public de santé, d'un rapport d'expertise amiable.

I) L’appréciation portée par les juridictions suprêmes sur la notion de secret médical

L'article R. 4127-4 du code de la santé publique définit l'étendue et le champ d'application général du secret médical. Cet article est une reprise intégrale et exacte de l'ancien article 4 du code de déontologie médicale qui a été abrogé par le décret n° 2004-802 du 29 juillet 2004.

Aux termes de ce dernier article : "Le secret professionnel institué dans l'intérêt des patients s'impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi. Le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l'exercice de sa profession, c'est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu'il a vu, entendu ou compris".

L'arrêt commenté vise également les dispositions des trois premiers alinéas de l'article L1110-4 du code de la santé publique qui dispose : " Toute personne prise en charge par un professionnel, un établissement, un réseau de santé ou tout autre organisme participant à la prévention et aux soins a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant. Excepté dans les cas de dérogation, expressément prévus par la loi, ce secret couvre l'ensemble des informations concernant la personne venue à la connaissance du professionnel de santé, de tout membre du personnel de ces établissements ou organismes et de toute autre personne en relation, de par ses activités, avec ces établissements ou organismes. Il s'impose à tout professionnel de santé, ainsi qu'à tous les professionnels intervenant dans le système de santé. Deux ou plusieurs professionnels de santé peuvent toutefois, sauf opposition de la personne dûment avertie, échanger des informations relatives à une même personne prise en charge, afin d'assurer la continuité des soins ou de déterminer la meilleure prise en charge sanitaire possible [...] ".

La lecture combinée de ces dispositions vient souligner et rappeler le caractère général et absolu de principe du secret médical.

Il appartenait dès lors à la Cour administrative de Lyon de déterminer quelle interprétation elle entendait retenir de ce principe. A cet égard, il apparaît utile de rappeler l'appréciation portée par les juridictions suprêmes françaises et la Cour de Strasbourg sur ce point.

Ainsi selon une appréciation stricte et qualifiée d'absolutiste par la doctrine, le secret médical à un caractère général et absolu ce qui a conduit la chambre criminelle de la Cour de cassation à considérer que "cette obligation établie pour assurer la confiance nécessaire à l'exercice de certaines professions ou certaines fonctions s'impose aux médecins comme un devoir de leur état, qu'elle est générale et absolue et qu'il n'appartient à personne de les en affranchir" (Crim, 8 mai 1947, D 1947-109).

Cette approche absolutiste implique que le délit de violation du secret médical est constitué même en l'absence d'intention de nuire (Crim, 19 décembre 1885, DP 1886-I.347).

A cette approche absolutiste, la première chambre civile de la Cour de cassation a toutefois préféré retenir une conception plus libérale et souple du secret médical (Civ1er, 18 mars 1997, n° 95-12.576).

Le Conseil d’Etat a également retenu une position plus libérale que la chambre criminelle du secret médical dans sa décision Sieur Dévé (Conseil d’Etat, assemblée, rec. P 266 – Sieur Dévé- 12 avril 1957).

A cet égard, la position de la Cour européenne des droits de l'Homme (Cour EDH ci-après) semble comparable à celle du Conseil d'Etat et de la chambre civile de la Cour de cassation.

En effet, le secret médical, qui constitue l'une des formes du secret professionnel, est également une composante du droit au respect de la vie privée protégé par l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (CEDH). La Cour de Strasbourg a ainsi considéré que "le respect du caractère confidentiel des informations sur la santé constitue un principe essentiel du système juridique de toutes les parties contractantes à la convention", ce dernier est "capital non seulement pour protéger la vie privée des malades mais également pour préserver leur confiance dans le corps médical et les services de la santé en général" (Cour EDH, 25 février 1997 Z c/ Finlande, n° 22009/93).

Malgré la réaffirmation du principe, la Cour européenne a admis la communication d'un dossier médical à un organisme d'assurance sociale afin de vérifier si l'intéressé peut bénéficier d'une indemnité, sous réserve de prévoir des limitations importantes à l'utilisation et à la transmission des données (Cour EDH, 27 août 1997, M. S c/ Suède, n° 20837/92).

Le rapport d'expertise litigieux contenait des informations couvertes par le secret médical.

Toutefois, par le biais d'un raisonnement innovant, la Cour administrative de Lyon a opposé au principe du secret médical, les principes et règles générales du procès administratif, au nombre desquels figure notamment le principe du contradictoire.

Rappelons ici que la procédure administrative contentieuse présente trois grands traits: elle est écrite, contradictoire et inquisitoriale.

Les deux derniers vont ici nous intéresser.

S'agissant du principe du contradictoire, il est envisagé par l'article L5 du code de justice administrative et le Conseil d'Etat l’a érigé en principe général du droit (CE - n° 250707 - Ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité - 18 février 2004) .

Le juge administratif assure lui-même le contradictoire entre les parties, en application du caractère inquisitoriale de la procédure. Ce dernier principe s’exprime par le fait que le juge organise et dirige l’instruction du dossier.

Si la preuve peut être rapportée par tout moyen devant le Juge administratif, ce dernier est libre d’apprécier la valeur de ces preuves. Cette appréciation peut le conduire à décider de mesures d'instruction et de vérification et ainsi jouer sur la charge de la preuve.

Sur ce point, s'agissant de l'office du juge en matière de charge de la preuve et de pouvoir d'instruction, la décision Barel du Conseil d'Etat (CE - n° 28238 - Sieur B. - 28 mai 1954) constitue l'arrêt de principe.

Depuis, le Conseil d’Etat a précisé sa position s'agissant des demandes d'instruction et, de manière plus générale, de production de documents ou informations couverts par le secret.

Par sa décision Ministre de l'équipement et du logement c/ Sieur Gougeon (CE - n° 77089 - Ministre de l'équipement et du logement c. Sieur Gougeon - 24 octobre 1969) ce dernier a posé en principe "qu'il appartient au juge administratif, pour l'instruction d'une affaire dont il est saisi, de requérir des administrations compétentes la production de tous documents qu'il juge de nature à permettre la vérification des allégations des parties en cause à la seule exception de ceux de ces documents dont la communication contreviendrait à une disposition législative". Ainsi, la communication de documents médicaux à l'intéressé lui-même ne constitue pas une violation du secret médical.

Cette jurisprudence a été confirmée par la suite, notamment pour une transmission des éléments médicaux par l'intéressé après injonction du juge administratif de lui communiquer son dossier médical (voir notamment en ce sens CE - n° 75863 - Sieur P. - 20 juillet 1971).

II) L’appréciation portée par la Cour administrative d’appel de Lyon

En l’espèce, la victime contestait la recevabilité d’un rapport d’expertise amiable établi à l’initiative de l’assureur du CH de Bourg-en-Bresse, ainsi que le mémoire du centre hospitalier introduisant ce dernier et se fondant en grande partie sur les conclusions expertales. Elle arguait d’une violation du secret par le CH.

Les magistrats de la Cour administrative de Lyon ont rejeté la demande de la victime en faisant prévaloir le principe du contradictoire sur le secret médical.

Ces derniers ont précisé que quand bien même le mémoire du centre hospitalier et le rapport d’expertise joint contiendraient des informations couvertes par le secret médical, il appartient au juge administratif de « joindre au dossier les éléments d'information spontanément produits par une partie et statuer au vu de ces pièces après en avoir ordonné la communication pour en permettre la discussion contradictoire ».

Cette solution s’explique également par la nature même du contentieux de la responsabilité du service public hospitalier. Bien que n’étant jamais lié, le juge administratif fonde sa solution sur l’ensemble des éléments versés au débat, dont font notamment partie les rapports d’expertise, que ces derniers résultent d’une expertise ordonnée par le juge lui-même, par une commission régionale de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux (CRCI) ou d’une expertise amiable réalisée à la demande d’une ou de plusieurs parties au litige.

Il est constant que dans des contentieux très techniques comme celui de la responsabilité hospitalière, les informations obtenues auprès de « l'homme de l'art » constituent un éclairage souvent primordial dans la solution à venir.

L'approche retenue par la Cour administrative d'appel de Lyon trouve également une explication à la lecture du code pénal.

L’article 226-13 de ce code puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende la méconnaissance et violation du secret médical. Toutefois, le législateur a prévu certaines dérogations légales à ce principe, essentiellement pour protéger les personnes vulnérables et en cas de violences sexuelles avec l’accord de la victime.

Le but poursuivi est la manifestation de la vérité devant le juge.

Nous pouvons mentionner en ce sens la décision Conseil National l'Ordre des médecins de 1989, aux termes de laquelle il a été considéré qu'une atteinte au secret médical peut être jugée légale si elle est la conséquence nécessaire d'une disposition législative (CE - n° 54494 - Conseil National de l'Ordre des médecins et autres - 8 février 1989) . Cette décision s'inscrit parfaitement dans la continuité de celle du Conseil d’Etat précitée.

Ainsi, l'expert rendra compte dans son rapport au juge de ses constatations médicales.

Le Conseil d'Etat et le juge administratif de manière plus générale opèrent une approche similaire à celle des juges de la Cour de Strasbourg. Dans une décision où le Conseil d'Etat était à nouveau saisi par le Conseil national de l'Ordre des médecins, d'une demande d'annulation à l'encontre du décret du 10 septembre 1996 relatif au contrôle médical et modifiant le code de la sécurité sociale, notamment s'agissant des mesures relatives au contrôle médical des établissements publics de santé, le Conseil d'Etat a opèré une vérification de proportionnalité entre la restriction prévue par la loi, qui répond à un objectif de protection de santé publique et l'atteinte et restriction portée à la protection garantie par l'article 8 de la CEDH.

Une autre décision du Conseil d'Etat doit être mentionnée ici en ce qu'elle paraît transposable au cas d'espèce.

A l'occasion d'une saisine par l'Union des professions de santé libérales tendant à l'annulation du décret du 18 octobre 1996 relatif au carnet de santé institué à l'article L162-161 du code de la sécurité sociale, la Haute Assemblée a fixé un principe en matière de secret professionnel et de communication de documents protégés par ce dernier.

Le Conseil d'Etat a ainsi souligné que : " [...] le carnet de santé est un document strictement personnel détenu par le patient ; que les renseignements qui y figurent, qui ont un caractère confidentiel, ne sont accessibles, en vertu de l'article L. 162-1-2 du même code, qu'à des personnes astreintes au secret professionnel ; que la méconnaissance de cette règle constitue une infraction pénalement sanctionnée ; qu'en outre, en vertu de l'article L. 162-1-4, son propriétaire dispose d'un droit d'opposition sur toutes les informations susceptibles de figurer dans ledit carnet [...] " (CE, 1er décembre 1997, Union des professions de santé libérales SOS Action et syndicat des médecins, n° 0184546) .

Par sa décision Crochette de 1972, le Conseil d'Etat a précisé la notion de droit d'opposition, aux termes de cette dernière décision « c’est du malade seul que dépend le sort des secrets qu’il a confiés à un médecin » (CE, 11 février 1972, Sieur Crochette, n° 76799). Cette jurisprudence doit toutefois être envisagée conjointement au cas où la personne détentrice du secret médical doit ou peut révéler certaines informations.

Il résulte de tout ce qui précède que deux éléments centraux peuvent être relevés. Les informations couvertes par le secret médical, notamment celles contenues dans le carnet de santé, ne sont, en raison du caractère confidentiel qui les caractérise, accessibles et donc communicables qu'à des personnes astreintes au secret professionnel.

Nous pensons ici immédiatement à l'expert, homme de l'art, lui-même généralement doublement soumis au secret en matière de responsabilité médicale, de par sa fonction de médecin et d'expert; mais aussi aux avocats ou encore à l'administration, prise en la forme du service public hospitalier voir même les caisses de sécurité sociale et autres mutuelles.

Sur ce point une récente ordonnance rendue par le juge des référés de la Cour administrative de Bordeaux est également éclairante en ce que cette dernière mentionne en réponse à l’allégation de méconnaissance du secret médical opposée par la victime que le secret médical doit nécessairement être aménagé dans le cadre d’un contentieux médical et notamment dans l’hypothèse où, une expertise judiciaire est diligentée (CAA Bordeaux, 1er février 2012, n° 11BX02728).

Il est également fait mention du droit d'opposition sur toutes les informations susceptibles de figurer dans le carnet de santé, et de manière plus englobante, de toute information couverte par le secret médical.

Ainsi, l'arrêt de la Cour administrative d'appel de Lyon s'inscrit totalement dans la veine jurisprudentielle du Conseil d'Etat, de la Chambre civile de la Cour de cassation mais aussi dans celle de la Cour européenne des droits de l'Homme.

Dans l'affaire dont a été saisi la Cour administrative lyonnaise, la victime a souhaité faire usage de son droit d'opposition afin que le juge empêche la communication de l'expertise amiable réalisée par l'assureur du centre hospitalier.

Néanmoins, cet arrêt illustre que ce droit d'opposition, tout comme le secret médical, n'est pas absolu et doit, notamment dans un but d'intérêt public et général, souffrir quelques restrictions et pondérations.

Ainsi, le principe du contradictoire composante du droit à un procès équitable envisagé par l'article 6 de la CEDH, dispose d'une force juridique identique à celle du secret médical a toutefois prévalu sur ce dernier en l'espèce.

Le CH de Bourg-en-Bresse, établissement public hospitalier est lui-même soumis au secret médical, ainsi, la restriction apportée au caractère absolu de ce secret ne semble pas disproportionnée au regard des intérêts en présence, ainsi, qu'aux grands principes du procès administratif.

Cette analyse s'explique également par la mission régalienne confiée aux magistrats, qui est de rendre la justice au nom du peuple français. Cette mission implique que le juge puisse avoir connaissance d'informations couvertes par le secret médical mais également, afin de préserver le principe du contradictoire, de permettre le cas échéant, la production et communication par et aux parties à l'instance, de documents couverts par ce même secret.

En effet, le juge administratif prend en compte l'état antérieur de la victime ainsi que les éventuelles prédispositions de ce dernier pour déterminer si la responsabilité du service public hospitalier peut être engagée.

De même, en l'espèce, la victime ayant fait l'objet d’interventions chirurgicales dans le secteur public et privé, la démonstration de l’existence d’un lien de causalité entre le ou les dommages allégués et une faute du service public hospitalier est moins aisée, pour une première intervention chirurgicale datant de plus du début des années 1990.

Dans cette affaire, les juges ont considéré qu'il ne ressortait pas de l'instruction du dossier que les : " [...] descellements à répétition de la prothèse mise en place, [...] que ces phénomènes ont pour origine certaine une infection chronique contractée dans cet établissement, alors que l'ostéoporose dont souffrait l'intéressé, aggravée d'une cirrhose éthylique sévère avec atteinte hépatique, l'exposait plus particulièrement, en tant que telle, au risque de descellement et que, par ailleurs, aucun des examens réalisés lors de cette hospitalisation ni même ultérieurement, malgré la suspicion d'un possible processus septique évoquée notamment en 2001, n'ont permis de mettre en évidence la présence d'un germe de nature nosocomiale [...] ".

Une fois ces constatations faites, allant en sens contraire de celles retenues par les premiers juges, la Cour a logiquement annulé le jugement attaqué, impliquant la restitution de l'intégralité des sommes perçues par la victime et la CPAM de l'Ain en 1ère instance.

Par voie de conséquence, une fois le principe de responsabilité remis en cause, les appels incidents formés par ces derniers ne pouvaient qu'être rejetés.

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