Le terrain enclavé est, en l’absence de servitude de passage, inconstructible

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Décision de justice

CAA Lyon, 1ère chambre – N° 11LY01648 – 22 mai 2012 – C+

Juridiction : CAA Lyon

Numéro de la décision : 11LY01648

Numéro Légifrance : CETATEXT000025913335

Date de la décision : 22 mai 2012

Code de publication : C+

Index

Mots-clés

Permis de construire, Enclave, Servitude de passage, Evacuation des eaux de pluie

Rubriques

Urbanisme et environnement

Résumé

Un permis de construire sur un terrain enclavé ne peut être délivré en l’absence de servitude de passage. Un jugement d’une juridiction judiciaire statuant sur une action possessoire ne reconnaît pas l’existence d’une telle servitude. Méconnaissance des dispositions d’un règlement de plan local d’urbanisme relatif aux obligations du constructeur en matière d’eaux pluviales dès lors que le permis n’impose pas de prescription suffisamment précise sur ce point alors que la demande ne faisait pas état des conditions de l’évacuation des eaux pluviales de la construction.

Conclusions du rapporteur public

Jean-Paul Vallecchia

Rapporteur public à la cour administrative d'appel de Lyon

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DOI : 10.35562/alyoda.5986

Les magistrats de première instance… ont d’abord jugé que – sur le fondement de l’article R421-2 du Code de l’Urbanisme alors en vigueur, le dossier de demande de permis de construire devait être regardé comme suffisamment complet pour ne pas avoir pu fausser l’appréciation de l’Administration sur les principales caractéristiques de l’opération.

Les premiers juges ont aussi considéré que l’article NB 3 du Plan d’Occupation des Sols (POS) de la Commune – qui interdit la constructibilité de tout terrain enclavé sauf servitude de passage instituée par acte authentique ou voie judiciaire – n’avait pas été méconnu par le projet de M. et Mme Legrand puisque le Tribunal de Grande Instance de Chambéry avait reconnu par jugement du 27 octobre 1992 l’existence d’un tel droit et l’avait même confirmé par jugement du 15 avril 2010.

La conformité du projet aux dispositions de l’article NB 4 du POS, qui traite notamment de l’alimentation en eau potable des habitations et de l’écoulement des eaux pluviales, a également été entérinée par les premiers juges, le permis de construire du 21 décembre 2007 prévoyant le raccordement au réseau d’eau potable et un dispositif d’écoulement des eaux pluviales dans un fossé proche du terrain d’assiette ayant été prévu.

Enfin les premiers juges ont également statué sur l’application au projet de la règle de prospect fixée par l’article NB 7 du Plan d’Occupation des Sols – laquelle fixe une distance minimum de 4 mètres entre tout point d’un bâtiment et la limite séparative – le bâtiment en projet devant être implanté à 4, 50 mètres de la limite la plus proche qui est la limite Sud-Est.

Les consorts B. relèvent donc appel de ce jugement.

Ils ont satisfait aux formalités de notification de leur requête d’appel prescrites par l’article R600-1 du Code de l’Urbanisme repris par l’article R411-7 du Code de Justice Administrative.

La Commune de Laissaud soutient que, quoiqu’il en soit, le recours de première instance des CONSORTS BRACCO serait irrecevable en raison de sa tardiveté, car ils auraient eu connaissance – comme cela ressort d’un constat d’huissier – au plus tard le 24 janvier 2008, de la délivrance d’un permis de construire à M. et Mme Legrand alors que leur recours n’aurait été enregistré que le 8 avril 2008.

Mais dans cette affaire la réalisation de l’affichage réglementaire du permis de construire n’étant pas démontrée par la Commune, aucune connaissance acquise ne peut – comme nous le savons –  permettre de déclencher le délai de recours : voyez par exempleConseil d’Etat n° 182214 du 29 novembre 1999 M. et Mme Y. 

Les consorts B. poursuivent en appel les critiques qu’ils avaient déjà développé en première instance…  sur la composition sommaire du dossier de demande de permis de construire… sur la situation d’enclavement du terrain d’assiette du projet… sur l’écoulement des eaux pluviales… et sur l’éloignement de la construction par rapport aux limites séparatives…

La composition du dossier est traitée au travers des articles R431-8, R431-9 et R431-10 du Code de l’Urbanisme…

Ces dispositions sont issues du décret n° 2007-18 du 5 janvier 2007 pris pour l’application de l’ordonnance n° 02005-1527 du 8 décembre 2005 relative aux permis de construire et aux autorisations d’urbanisme.

Ce décret est entré en vigueur le 1er octobre 2007…alors que – comme cela ressort de l’arrêté de permis de construire du 21 décembre 2007 – la demande de permis de construire a été déposée le 16 mars 2007, près de sept mois avant l’application des nouvelles dispositions…

Le Tribunal Administratif a procédé à une requalification du moyen sur le fondement de l’article R421-2 du Code de l’Urbanisme – issu du décret n° 2004-310 du 29 mars 2004 – qui était alors applicable… Pourtant, devant votre Cour, les consorts B. continuent d’invoquer des dispositions qui étaient inapplicables au moment de l’examen du dossier de demande de permis de construire et qui ne sont pas totalement équivalentes à celles qui ont précédé… Pour cette raison nous serions, pour notre part, favorable à ce que votre Cour relève l’inopérance de ce premier moyen…

Le débat sur la situation d’enclavement dans laquelle se trouverait la parcelle n° 0859 appartenant à M. et Mme Legrand repose sur l’application de l’article NB 3 du POS de la Commune de Laissaud…

La Direction Départementale de l’Equipement s’était, au cours de l’instruction du dossier, inquiétée auprès des pétitionnaires de la justification d’une servitude de passage, alors que ce terrain aurait été jusqu’alors desservi par un chemin privé, peut-être un chemin d’exploitation…

M. et Mme L. ont provisoirement détourné la difficulté lors de l’instruction du permis de construire, en faisant compléter le compromis de vente à leur profit de ce terrain, par un avenant stipulant que l’acte d’acquisition des vendeurs mentionnait l’existence d’un chemin, situé en bordure Nord du terrain, chemin ayant toujours permis l’accès à cette parcelle à partir de la voie communale.

Ce chemin ne semble plus apparaître… Le cadastre en porte peut-être une trace mais il s’agit d’un document qui n’a pas vocation à justifier de l’existence d’une servitude de droit privé, laquelle découle habituellement d’un acte authentique du propriétaire du fonds servant.

Faute de justifier d’un tel acte, M. et Mme L. se sont prévalus d’un jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance (TGI) de Chambéry du 27 octobre 1992, le POS de la Commune de Laissaud prévoyant aussi la possibilité d’une servitude de passage instituée par le voie judiciaire : ce jugement a reconnu à Mme X., ancienne propriétaire de la parcelle en cause qui avait introduit contre les époux B. une demande en rétablissement possessoire et en cessation de troubles possessoires sur un chemin privé agricole situé au Nord de la parcelle et constituant le seul accès.

A cette occasion le TGI de Chambéry a constaté que les actes notariés ne faisaient apparaître l’existence d’aucune servitude et que si servitude il y avait-il ne pouvait s’agir que d’une servitude établie par le fait de l’homme. Toutefois le TGI a reconnu l’existence d’un chemin privé agricole étroit et non carrossable comme étant le seul accès possible à la propriété de Mme X., a donc admis l’existence d’une possession sur ce chemin en faveur de cette dernière et ordonné aux époux B. de combler les excavations et cuvettes qu’ils avaient fait pratiquer sur ledit chemin vicinal à fin d’y permettre un passage régulier.

Les époux L. eux-mêmes ont entrepris – sur le fondement des articles 2278 et suivants du Code Civil et 1264 et suivants du Code de Procédure Civile – une action en reconnaissance de trouble possessoire contre les consorts B. devant le TGI de Chambéry, ces derniers ayant installés des piquets et grillages de chaque côté du chemin vicinal en question… : par jugement du 15 avril 2010 le magistrat judiciaire statuant seul dans cette affaire a reconnu à M. et Mme L. une protection possessoire sur ce chemin, lequel va au-delà d’un passage à talons (contrairement à ce qu’affirment les requérants) et pourrait éventuellement accueillir la circulation d’un véhicule tout terrain s’agissant d’un terrain qui ne peut être regardé comme ayant une largeur constante de 4 mètres et comme étant carrossable ; les consorts  B. – reconnus comme responsables d’une voie de fait – ont été notamment condamnés à retirer les piquets et grillages installés à fin de permettre le passage d’un véhicule de type 4x4…

Sur cet aspect du litige les consorts B. soutiennent que la juridiction judiciaire ayant statué dans cette affaire au possessoire et non au pétitoire, cela ne vaudrait pas reconnaissance d’une servitude de passage par l’autorité judiciaire…

Au regard du Droit Civil, cette distinction paraît pertinente : en matière de servitude, l’action possessoire a pour objet de rétablir, dans les faits, un passage qui présente toutes les apparences d’une servitude mais il n’a pas pour objet d’établir la réalité du droit qui fonde cette servitude, l’établissement de cette réalité relevant d’une action pétitoire.

Sur cette distinction particulière, vous pourrez vous reportez à la décision rendue par le Conseil d’Etat le 11 septembre 2006, sous le n° 243535, M. A et aussi aux conclusions de M. Didier Casas, Commissaire du Gouvernement, sous cette décision.

Ainsi donc, les décisions judiciaires produites par M. et Mme L. ne permettent pas encore, à ce niveau de la procédure judiciaire, de conclure définitivement à l’existence d’une servitude de passage sur le chemin vicinal en question, d’autant moins d’ailleurs que le jugement du 15 avril 2010 du TGI de Chambéry a été annulé par arrêt du 20 octobre 2011 de la Cour d’Appel de Chambéry… Ces décisions judiciaires ne répondent donc pas aux moyens de justification de l’existence d’une telle servitude prescrits par l’article NB3 du POS de la Commune de Laissaud.

Sur cet aspect du litige les premiers juges – qui ont à tort fondé le respect de l’article NB3 du POS sur les deux décisions du TGI de Chambéry – nous paraissent devoir être censurés.

L’écoulement des eaux pluviales est réglementé par l’article NB4 du POS de la Commune…en vertu duquel les aménagements réalisés devront garantir l’écoulement direct des eaux pluviales sans aggraver la situation antérieure ; et les dispositifs réalisés, qui devront être adaptés à l’opération et au terrain, devront aussi – selon ces mêmes dispositions – assurer l’évacuation des eaux pluviales vers un exutoire agréé par la Commune.

Le permis de construire du 21 décembre 2007 contient sur ce sujet une prescription très générique selon laquelle : « les eaux pluviales seront collectées par tout dispositif adapté conforme à la règlementation en vigueur. ». Cette formulation très générale ne peut tenir lieu de prescription conforme à l’article NB4 du POS, d’autant moins qu’il s’agit d’un terrain en pente, c'est-à-dire d’un terrain dont la configuration nécessite de préciser d’avantage les choses en raison du risque d’aggravation de ces écoulements.

Ce qui ressort des pièces du dossier est que les eaux pluviales seront effectivement rejetées dans un fossé se situant au Nord-Ouest… mais aucune indication n’est donnée en ce qui concerne le dispositif de collecte, ce qui apparaît comme une lacune au regard du Règlement du POS et constitue aussi un motif de censure des premiers juges, lesquels se sont seulement contentés de l’existence à proximité d’un fossé permettant d’évacuation.

Le raccordement au réseau d’eau potable, possible à partir d’une propriété voisine, ne pose pas la même difficulté puisque cette seule possibilité suffit, l’incertitude d’un accord des propriétaires voisins étant inopérant : Conseil d’Etat n° 324616 du 1er décembre 2010 SOCIETE FIZZY. 

Pour finir… quant au respect de la règle de prospect fixée par l’article NB7 du POS de Laissaud…le bâtiment projeté atteint une hauteur inférieure à 8 mètres… ce qui implique que la moitié de cette hauteur – que l’article NB7 fixe comme étant la distance horizontale devant séparer tout point du bâtiment de la limite séparative la plus proche – que la moitié de cette hauteur est donc inférieure à la distance minimale de 4 mètres qui est aussi prescrite par l’article NB7. Or cette distance de 4 mètres – qui ressort des pièces du dossier – n’est pas méconnue.

Par ces motifs nous concluons, sur les deux fondements des articles NB3 (traitement des eaux pluviales) et NB4 (justification d’une servitude de passage), à l’annulation du jugement 16 mai 2011 du Tribunal Administratif de Grenoble, à l’annulation de l’arrêté de permis de construire du 21 décembre 2007 du Maire de Laissaud et à ce que soit mise à la charge de  la Commune une somme de 1500 euros qui sera versée aux consorts B. au titre des conclusions que ces derniers présentent sur le fondement de l’article L761-1 du Code de Justice Administrative.

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