L’article L52 du livre des procédures fiscales dispose que : « sous peine de nullité de l’imposition, la vérification sur place des livres ou documents comptables ne peut s’étendre sur une durée supérieure à trois mois ».En l’espèce, si l’administration soutient que le contrôle de vérification doit être regardé comme achevé dans un délai de trois mois et que le dernier entretien n’avait pour objet que de présenter au requérant la synthèse de ce contrôle, il résulte toutefois de l’instruction que l’examen des documents comptables et leur confrontation avec les déclarations de l’intéressé se sont poursuivis lors de cet entretien. Ainsi, la vérification de comptabilité, qui s’est étendue au-delà du délai de trois mois, est irrégulière.
La durée de vérification de comptabilité ne peut excéder trois mois
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Résumé
Conclusions du rapporteur public
Pierre Monnier
Rapporteur public à la cour administrative d'appel de Lyon
DOI : 10.35562/alyoda.5947
I) Présentation du litige
M. T. exploite un établissement de restauration rapide kebab sous l'enseigne « ISTAMBUL » à V.. Cette entreprise a fait l'objet d'une vérification de comptabilité qui a porté sur la période du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2006.
A l'issue de cette vérification, les rehaussements correspondants ont été notifiés par l'envoi d'une première proposition de rectification interruptive de prescription le 19 décembre 2007 pour l'année 2004, et d'une seconde proposition de rectification du 11 avril 2008, pour les années 2005 et 2006.
Les droits et pénalités en matière de tva résultant de cette vérification ont été mis en recouvrement le 7 octobre 2008. Après rejet de sa réclamation préalable, M. T. a saisi le Tribunal administratif de Dijon qui a partiellement fait droit à ses demandes tendant à la décharge, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels il a été assujetti, en modifiant les données prises en compte dans la reconstitution de son chiffre d’affaires. M. T. relève régulièrement appel de l’article 3 de ce jugement ayant rejeté le surplus de ses conclusions en invoquant trois moyens tirés de l’irrégularité de la procédure d’imposition.
II) Sur la régularité de la procédure d’imposition
Un seul de ces moyens nous semble pouvoir être accueilli : celui tiré de la durée excessive de la vérification de comptabilité afférente aux années 2005 et 2006. C’est donc par lui que nous allons commencer.
a. Sur la durée de la vérification :
Le requérant soutient que la durée de la vérification de comptabilité à laquelle il a été soumis a dépassé pour les années 2005 et 2006 le délai légal de trois mois établi par les dispositions de l'article L52 du livre des procédures fiscales (LPF). Vous savez que l’inobservation de cette garantie entache la procédure d'irrégularité et entraîne la nullité des impositions consécutives à la vérification de comptabilité. M. T. fait valoir qu'au cas d'espèce, le délai de trois mois a débuté le 23 novembre 2007, date de la première intervention. La vérification de la comptabilité qui devait s'achever au plus tard le 22 février 2008, se serait achevée le 28 mars 2008 au Centre des impôts de Sens.
Le ministre réplique que la date d'achèvement d'une vérification étant celle de la dernière intervention sur place du vérificateur, soit en l’espèce le 22 février 2008, les opérations sur place devaient être regardées comme achevées à cette date.
Nul ne conteste le constat du Tribunal administratif de Dijon selon lequel la vérification de comptabilité a débuté le 23 novembre 2007, date de la première intervention du vérificateur. La durée de trois mois prévue à l’article L. 52 du livre des procédures fiscales expirait donc le 22 février 2008, date à laquelle, ce n’est pas contesté, le vérificateur s’est rendu pour la dernière fois chez le comptable où le requérant avait demandé que soit effectuée la vérification.
La date d'achèvement d'une vérification est, en principe, en effet celle de la dernière intervention sur place du vérificateur et non par exemple celle de la notification de redressement consécutive à la vérification. (CE 12 décembre 1979 n° 11741, 7e et 9e s.-s. : RJF 2/80 n° 131, Dr. Fisc. 1980, n° 8, comm. 385 ; CE 11 janvier 1993 n° 77875, 9e et 8e s.-s., SARL Sepemep : RJF 3/93 n° 0420 ; CE 28 juillet 2004 n° 248542, 3e et 8e s.-s., S. : JurisData n° 2004-254628 RJF 11/04 n° 1106)
Toutefois, cette règle comporte certaines exceptions lorsque, postérieurement à la dernière visite du vérificateur, ce dernier a poursuivi la vérification. Le CE rattache notamment aux opérations de vérification une réunion que le vérificateur a pris l'initiative d'organiser avec le contribuable pour examiner des documents dont l'Administration n'établit pas qu'ils seraient étrangers à l'activité professionnelle du contribuable (CE, 7e et 9e ss-sect., 23 mars 1988, n° 62742, M. V. : RJF 5/1988, n° 625) .
Avant d’examiner les faits, rappelons que le régime de la preuve applicable concernant la date de l’achèvement de la vérification de comptabilité est celui de la preuve objective. En effet si la date à laquelle une vérification a débuté est, sauf preuve contraire, celle qui est portée sur l'avis de vérification adressé ou remis au contribuable, la date à laquelle une vérification est achevée est une question de fait établie par l'instruction. (CE 28 octobre 1983 n° 30902 et 30902 bis, 7e et 8e s.-s. : Dr. fisc. 1984, n° 7, comm. 278, concl. O. Fouquet ; RJF 12/83 n° 1522.)
C’est donc à partir des pièces à votre disposition qu’il va falloir forger votre conviction. La proposition de rectification constitue à cet égard la pièce essentielle. Or, la première page de ce document précise que le contribuable a fait l’objet d’une vérification de comptabilité du 23 novembre 2007 au 28 mars 2007… Il s’agit évidemment d’une coquille et le lecteur attentif aura corrigé ce dernier chiffre en un 8. Le ministre insiste sur le fait que l’année indiquée est 2007 et non 2008. Toutefois, les récentes découvertes selon lesquelles certaines particules dénommées neutrinos dépasseraient la vitesse de la lumière n’a pas encore conduit le juge administratif a estimé qu’une vérification pouvait s’achever huit mois avant d’avoir commencé. C’est donc bien la date du 28 mars 2008 que la proposition de rectification annonce comme date de fin de la comptabilité, le Tribunal administratif de Dijon ne s’y est pas trompé.
Mais cela n’est pas déterminant et la question qui vous est posée est de savoir si la réunion du 28 mars 2008 qui s’est tenue dans les locaux de l’administration en présence du contribuable et de son comptable relevait de la vérification de comptabilité. Le Tribunal administratif de Dijon a estimé que non dès lors que cette réunion avait pour objet de présenter à M. T. la synthèse du contrôle et qu’aucune demande de documents comptables n’a été présentée à l’intéressé ni aucun rapprochement réalisé lors de cette intervention entre les pièces comptables et les déclarations de résultats.
Le ministre se prévaut à cet égard d’un arrêt de la Cour administrative d'appel de Nancy ayant jugé que La régularité de la vérification de comptabilité qui s'est déroulée chez le contribuable entre le 18 août et le 10 novembre 1988 n'est pas remise en cause par l'entrevue entre le vérificateur et le représentant du contribuable organisée le 23 novembre 1988, postérieurement à l'expiration du délai de trois mois prévu par l'article L52 du LPF, dès lors que cette réunion avait seulement pour objet d'évoquer le projet de redressement et que le contribuable n'établit pas, qu'à cette occasion, des documents comptables de l'entreprise auraient été transportés et examinés dans les locaux du service. (CAA Nancy 24 avril 2003 n° 98-993, 2e ch, Z. : RJF 10/03 n° 1127.)
Il est intéressant de noter que la Cour de Nancy semble faire peser la charge de la preuve sur le contribuable dès lors que cette dernière réunion s’est tenue dans les locaux de l’administration alors que le CE, dans l’arrêt Vial de 1988 dont nous avons parlé, la faisait peser sur l’administration lorsque la réunion a eu lieu à son initiative. Mais cette charge de la preuve nous semble en l’espèce sans incidence dès lors que le contribuable apporte cette preuve par la production de la proposition de rectification du 11 avril 2008.
Un premier indice figure à la page 3 de cette proposition où il est écrit que « Les points occasionnant des rehaussements ont été abordés le 22 février 2008 en votre présence et tout au long de la procédure ainsi que lors de la dernière intervention en date du 28 mars 2008 en présence de votre comptable au centre des impôts de Sens ». Le fait que la réunion se soit tenue en présence du comptable nous semble à cet égard un élément à retenir en faveur de la thèse du requérant.
Mais c’est à la page 18 de la proposition qu’on trouve la preuve qu’il y a bien eu poursuite des opérations de vérification de comptabilité le 28 mars 2008 : « La déclaration modèle 2031 de l’exercice 2006 » y est-il écrit, « remise en main propre le 28 mars 2008 – établit un bénéfice de 12 048 euros. Au titre de l’exercice 2006, sur la comptabilité présentée (édition 28 mars 2008) apparaît au compte 61811120 « dotation aux amortissements » une dotation aux amortissements d’un montant de 816, 96 euros. » Cette phrase montre bien que le vérificateur a procédé le 28 mars 2008 à un examen critique des pièces comptables par confrontation aux déclarations du contribuable, ce qui est le critère même d’une vérification de comptabilité (voyez a contrario CE 29 octobre 2008 n° 292393, 292394 et 292395, 9e et 10e s.-s., C. : RJF 1/09 n° 51.)
Nous vous proposons de décharger M. T. des rappels de tva au titre de la période du 1er janvier 2005 au 31 décembre 2006, ce qui ne vous dispensera pas d’examiner les autres moyens de procédure afférents aux redressements sur la période du 1er janvier au 31 décembre 2004.
b. Sur le débat oral et contradictoire :
Le requérant soutient, au titre de l'exercice clos en 2004, qu'aucun débat oral et contradictoire n'aurait été engagé avec le vérificateur au cours de la vérification de comptabilité.
L’article L13 du livre des procédures fiscales implique en effet, l'intervention sur place du vérificateur afin de garantir l'instauration d'un débat oral et contradictoire avec le contribuable vérifié.
Le requérant se prévaut en outre de la charte des droits et obligations du contribuable vérifié qui fait obligation Au vérificateur, d'engager un dialogue contradictoire avec le contribuable faisant l'objet d'une procédure de contrôle.
Par ailleurs, M. T. fait valoir que le débat oral et contradictoire n'a pu être établi dans la mesure où il n'y a eu que deux interventions et que c’est seulement au cours de la deuxième intervention chez son comptable que les documents et pièces comptables ont pu être examinés.
Il précise à cet égard, que la proposition de rectification a été adressée dès le lendemain de la seconde intervention, soit le 19 décembre 2007.
Aucun de ces éléments n’emporte la conviction.
Rappelons d’abord que la charge de prouver l’absence de débat oral et contradictoire pèse sur M. T. dès lors que la vérification de comptabilité, qui a commencé au siège de l’entreprise le 23 novembre 2007, s’est poursuivie ensuite dans les locaux de son expert-comptable à la demande du contribuable (CE 31 mai 2000 n° 178122, 9e et 10e s.-s., C. : JurisData n° 2000-061284 ; Dr. Fisc. 2001, n° 5, comm. 70 ; RJF 7-8/00 n° 956 ; CE 26 février 2003 n° 232841 sect., M. : JurisData n° 2003-080284 ; Dr. Fisc. 2003, n° 21, comm. 410; concl. G. Goulard ; RJF 5/03 n° 591 et concl. G. Goulard p. 399.)
Or, le moyen du requérant manque en fait et en droit.
Il manque en fait dès lors que le vérificateur ne s’est pas borné, lors de la première réunion, à constater l’absence de comptabilité ainsi qu’en attestent les deux procès-verbaux dressés ce jour-là. On lit notamment sur l’un d’eux que « S’agissant de l’exercice 2004, où tout le chiffre d’affaires a été déclaré au taux réduit de 5, 5 %, l’exploitant précise qu’il a bien réalisé des ventes à consommer sur place, relevant du taux normal. Il précise qu’environ 10 % de son chiffres d’affaires 2004 consiste en de la vente à consommer sur place ».
Il y a donc bien eu au total deux réunions « utiles » : l’une dans les locaux de l’entreprise le 23 novembre 2007 et la seconde dans ceux du comptable le 18 décembre 2007. Or, nous n’avons trouvé dans la jurisprudence du CE aucun arrêt ayant conclu à l’absence de débat oral et contradictoire dans le cas où il y a eu au moins deux réunions « utiles ».
Le dernier état de la jurisprudence constate même qu’un contribuable n'établit pas avoir été privé d'un débat oral et contradictoire lorsqu’il n’y a eu qu’une seule entrevue dès lors que les redressements ne présentent pas de difficulté (CE 4 mars 2009 n° 296956, 8e et 3e s.-s., Sté Aux Villes de l’Est-MBH : RJF 6/09 n° 0575 ; CE 23 avril 2008 n° 271853, 9e et 10e s.-s., SA Kraft Foods France : Dr. Fisc. 2008, n° 26, comm. 399, concl. P. Collin ; RJF 7/08 n° 863, concl. P. Collin BDCF 7/08 n° 97.)
Dans ces conditions, le fait que la proposition de rectification soit datée du lendemain de la dernière réunion ne saurait apporter la preuve requise. Le CE a par exemple jugé qu’Alors que la vérification de comptabilité s'est déroulée au siège de l'entreprise, en présence du contribuable, ce dernier n'établit pas que le vérificateur se serait refusé à tout échange de vues avec lui en invoquant notamment la circonstance que la notification de redressement aurait été postée le soir de la seconde visite du vérificateur. (CE 18 octobre 1996 n° 160839, 8e et 9e s.-s., M.: JurisData n° 1996-280026 ; RJF 12/96 n° 1406 ; BDCF 6/1996, concl. G. Bachelier, p. 16.)
Nous vous proposons donc d’écarter le moyen tiré de l’absence de débat oral et contradictoire au titre de l’exercice 2004.
c. Sur la motivation de la proposition de rectification :
Le requérant soutient que la proposition de rectification du 19 décembre 2007 est dénuée de toute motivation relative au rejet de la comptabilité. Mais le moyen manque en fait ainsi que l’a à juste titre rappelé le Tribunal administratif de Dijon en jugeant que cette proposition, « qui comporte un paragraphe intitulé « critique de la comptabilité présentée : comptabilité non probante » dans lequel l’administration rappelle les obligations comptables de l’exploitant et les documents non présentés ainsi que les faits relevés, notamment l’absence de double des factures clients, de caisse enregistreuse, de ventilation en fonction des consommations, ou selon le mode de consommation, est suffisamment motivée au sens de l’article L. 57 du livre des procédures fiscales. »
Nous vous proposons donc d’écarter ce dernier moyen, par adoption des motifs si vous le souhaitez.
III) Sur les frais irrépétibles
Vous pourrez condamner l’Etat à verser au requérant une somme de 1 500 euros au titre de l'article L761-1 du code de justice administrative.
Par ces motifs, nous concluons à la décharge des rappels de tva au titre de la période du 1er janvier 2005 au 31 décembre 2006, à l’annulation de l’article 3 du jugement du Tribunal administratif de Dijon en tant qu’il est contraire, à la condamnation de l’Etat à verser à M. T. une somme de 1 500 euros au titre de l'article L761-1 du code de justice administrative et au rejet du surplus des conclusions de la requête.
Droits d'auteur
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