Délai pour retirer ou abroger un refus de permis de construire pendant l’état d’urgence

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Décision de justice

CAA Lyon, 1ère chambre – N° 22LY00152 – 06 février 2024 – C+

Juridiction : CAA Lyon

Numéro de la décision : 22LY00152

Date de la décision : 06 février 2024

Code de publication : C+

Index

Mots-clés

Autorisation d’urbanisme, Retrait, Ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020, Abrogation, L. 243-1 du code des relations entre le public et l’administration, L. 243-3 du code des relations entre le public et l’administration

Rubriques

Urbanisme et environnement

Résumé

Un refus de permis de construire, acte non réglementaire non créateur de droits, ne peut être retiré que s’il est illégal et si ce retrait intervient dans le délai de quatre mois, prévu à l’article L. 243 3 du code des relations entre le public et l’administration.

En l’espèce, le délai de quatre mois, qui a été suspendu pendant la période de l’état d’urgence sanitaire, sur le fondement de l’article 7 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020, était expiré lorsque l’autorité compétente a procédé à son retrait.

Aux termes de l’article 7 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’état d’urgence sanitaire…: « Sous réserve des obligations qui découlent d'un engagement international ou du droit de l'Union européenne, les délais à l'issue desquels une décision, un accord ou un avis de l'un des organismes ou personnes mentionnés à l'article 6 peut ou doit intervenir ou est acquis implicitement et qui n'ont pas expiré avant le 12 mars 2020 sont, à cette date, suspendus jusqu'à la fin de la période mentionnée au I de l'article 1er. (…) ».

Le retrait d’un refus de permis de construire ne constitue pas un acte prescrit par la loi ou le règlement au sens de l’article 2 de l’ordonnance du 25 mars 2020, mais relève des dispositions de son article 7, qui prévoit une suspension des délais à l’issue desquels une décision peut intervenir.

En l’espèce, compte tenu de la date d’édiction du refus de permis de construire, le maire avait jusqu’au 29 mars 2020 pour le retirer, et ce délai, suspendu entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020 inclus, expirait le 10 juillet 2020 à minuit. L’arrêté de retrait du 21 août 2020, notifié le 24 août suivant, est par suite intervenu postérieurement au délai de quatre mois impartis par les dispositions de l’article L. 243-3 du code des relations entre le public et l’administration.

Il ressort aussi de l’article L. 243-1 du code des relations entre le public et l’administration que le refus d’une autorisation d’urbanisme peut, « pour tout motif et sans condition de délai », être modifié ou abrogé.

En l’espèce, le sursis à statuer, prononcé le 21 août 2020, sur la demande de permis de construire a pu, sans condition de délai, abroger implicitement mais nécessairement le refus de permis opposé le 29 novembre 2019.

01-09-01-01, Actes législatifs et administratifs, Retrait, Retrait des actes non créateurs de droits
01-09-02-02, Actes législatifs et administratifs, Abrogation, Abrogation des actes non réglementaires

Délai pour retirer ou abroger un refus de permis de construire pendant l’état d’urgence sanitaire

Hélèna Legros

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  • IDREF

Jean-François Gautier

Etudiants en Master 2 Droit public fondamental, Université Jean Moulin Lyon 3

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  • IDREF

DOI : 10.35562/alyoda.9679

L’abrogation d’un acte non réglementaire non créateur de droits peut intervenir à tout moment, malgré la période d’urgence sanitaire, alors que son retrait, si l’acte est illégal, doit respecter la suspension des délais prévue par l’ordonnance du 25 mars 2020.

Un particulier a contesté, devant le tribunal administratif de Lyon, un arrêté municipal du 29 novembre 2019 portant refus de sa demande de permis de construire, ainsi que le rejet implicite du recours gracieux qu’il avait introduit ultérieurement. En cours d’instance, l’état d’urgence sanitaire a été déclenché et a eu pour effet, notamment, de suspendre le délai de 4 mois auquel est soumis le retrait d’un acte non créateur de droits – c’est-à-dire ici, le refus du permis de construire. Une fois l’état d’urgence terminé, les délais ont repris leur cours normalement. Le maire concerné a finalement pris un arrêté en date du 21 août 2020 retirant l’acte et opposant au requérant un sursis à statuer. Le requérant est venu attaquer ce nouvel acte devant le tribunal administratif par une seconde demande. Le tribunal administratif de Lyon a joint les deux demandes et a prononcé un non-lieu à statuer pour la première ainsi qu’un rejet pour la seconde. Le requérant relève appel de ce jugement.

Selon l’article L. 240-1 du Code des relations entre le public et l’administration (CRPA), la sortie de vigueur d’un acte administratif résulte soit de son abrogation, qui est sa « disparition juridique pour l’avenir », soit de son retrait qui est sa « disparition pour l’avenir comme pour le passé ». L’enjeu n’est pas le même, et les exigences procédurales non plus, d’autant plus lorsqu’il s’agit d’actes non créateurs de droits pour les personnes. Cet arrêt, venant témoigner de cette situation juridique, apporte des précisions importantes et inédites concernant l’application de l’ordonnance du 25 mars 2020 aux délais de retrait et d’abrogation d’actes non créateurs de droit.

Les refus d’autorisation d’urbanisme étant des actes non créateurs de droit, il convient d’appliquer l’article L. 243-3 du CRPA qui dispose que « l’administration ne peut retirer [ce type d’acte] que s’il est illégal et si le retrait intervient dans le délai de quatre mois suivant son édiction ». Ces dispositions reviennent sur la jurisprudence Association Unimate 651 qui affirmait que l’administration était en capacité de retirer un acte non créateur de droit pour des raisons étrangères à son illégalité, telles que des raisons d’opportunités.

Cependant, en vertu de l’ordonnance du 25 mars 20202, qui a prorogé les délais échus pendant la période d’urgence sanitaire, le retrait d’un refus de permis de construire ne constitue pas un acte prescrit par la loi ou le règlement au sens de l’article 2 du même texte. En effet, le retrait de cet acte relève des dispositions de son article 7, qui prévoit une suspension des délais pendant la période comprise entre le 12 mars et le 23 juin 2020. En découle, dans les faits, que si le maire avait en principe jusqu’au 29 mars 2020 pour retirer l’acte effectivement illégal, le délai s’étendait finalement jusqu’au 10 juillet 2020 à minuit. Le retrait de l’arrêté refusant le permis de construire étant intervenu le 21 août 2020, celui-ci est illégal. L’arrêté du 21 août 2020 prononçant ce retrait est donc annulé pour ce motif. De plus, si le retrait avait été réalisé dans les délais, il aurait été considéré comme étant régulier, puisque l’acte était effectivement illégal. En effet, le maire ne pouvait pas opposer une décision de refus de permis de construire puisque le terrain d’assiette du projet se situe dans une partie urbanisée de la commune, conformément à l’article L. 111-3 du Code de l’urbanisme.

Par ailleurs, la cour a jugé que « l’autorité compétente pouvait, en cours d’instance et sans méconnaître les disposition de l’article L. 600-2 du code de l’urbanisme ni entacher sa décision de détournement de pouvoir, retirer la décision de refus de permis de construire pour prendre une décision de sursis à statuer », contrairement à ce qui était allégué par le requérant. De plus, l’article L. 243-1 du CRPA pose qu’un « acte non réglementaire non créateur de droits peut, pour tout motif et sans condition de délai, être modifié ou abrogé ». Ainsi, l’arrêté du 21 août 2020 prononce, en plus du retrait, un sursis à statuer sur la demande de permis de construire. Pour la cour, ce sursis doit donc être regardé comme abrogeant, « implicitement mais nécessairement », le refus de permis, ce qui pouvait être fait pour tout motif et sans condition de délai même pendant l’état d’urgence. De plus, pour la cour, ce sursis à statuer opposé à la demande de permis de construire « ne rend pas sans objet le recours dirigé contre un arrêté de refus de permis de construire, qu’il a seulement pour effet d'abroger, alors que le refus a reçu une entière exécution pendant la durée de sa validité ». Pour cette raison, elle annule le jugement du tribunal administratif prononçant le non-lieu à statuer sur les conclusions dirigées contre le refus de permis de construire et conclut donc à la légalité de l’arrêté opposant la décision de sursis à statuer sur la demande de permis de construire du requérant.

Il convient de préciser, pour conclure, que si l’administration ne peut retirer un acte non créateur de droits que s’il est illégal (dans le respect du délai de quatre mois)3, elle est tenue de l’abroger s’il est devenu illégal4. S’il est illégal dès l’origine, comme c’est le cas en l’espèce, il n’y a pas d’obligation d’abrogation. Le seul recours possible est le recours pour excès de pouvoir.

Notes

1 CE, Ass., 29 avril 1994, no112910 et no115044, au Lebon. Retour au texte

2 Ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période. Retour au texte

3 Article L. 243-3 CRPA Retour au texte

4 Article L. 243-2 CRPA Retour au texte

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