Saisi d’une requête demandant l’annulation de la délibération de la métropole de Lyon désignant les représentants au sein du conseil d’administration de l’office public de l’habitat (OPH) Grand Lyon habitat au sein desquels figurait l’oncle du Président en exercice de la Métropole, oncle qui fut ensuite élu président de l’OPH Grand Lyon habitat, le juge administratif devait apprécier la légalité de la délibération litigieuse au regard des règles applicables en matière de conflits d’intérêts, en tenant compte du fait que le président de la métropole avait exercé les fonctions de rapporteur du projet de délibération et ne s’était pas déporté au moment du vote. Sans grande surprise, le tribunal administratif indique que si le lien de parenté ne faisait pas en lui-même obstacle à la désignation de l’oncle pour siéger au conseil d’administration de l’OPH Grand Lyon Habitat, il aurait dû conduire au déport du président de la métropole afin d’éviter tout conflit d’intérêts.
Il y a quelques semaines, le tribunal administratif de Lyon rendait une décision fort intéressante en matière de probité qui mérite que l’on s’y arrête quelques instants dans la mesure où les questionnements relatifs à la probité publique se font de plus en plus prégnants et que les outils juridiques permettant de protéger les élus, nationaux, locaux, mais également de prévenir les situations délicates sont de plus en plus nombreux.
En effet, le thème de la probité publique, de la prévention des conflits d’intérêts comme de la répression des manquements au devoir de probité tels la prise illégale d’intérêts ou le favoritisme, suscitent de nombreuses interrogations des acteurs publics1, qu’il s’agisse d’élus ou d’agents publics. Si, à rebours de ce que certains peuvent penser, les condamnations ne sont pas si nombreuses2, il existe un véritable sentiment d’insécurité pour l’ensemble des acteurs publics.
Ce sentiment d’insécurité est alimenté par le fait que ce thème irradie le débat public : même en l’absence de condamnation, les suspicions sont telles qu’il devient difficile pour les décideurs publics de prendre des décisions. D’ailleurs, ainsi que le disait très justement Me Yvon Goutal lors du 21e colloque de l’Observatoire SMACL,
« […] Le conflit d'intérêts est devenu une composante du débat public. Les opposants s'en servent. Des associations, autoproclamées défenseurs du bien public, interviennent dans les collectivités. Certains élus font l'objet d'enquêtes, qui se traduisent par un dossier de police transmis à la presse, ce qui représente un réel traumatisme. Alors que l'ambition affichée est d'obtenir une société pure, saine et transparente, elle aboutit à une situation où les élus ne savent pas s'ils se trouvent en danger ».
Il revient aux juges, aussi bien administratif que pénal, avec les outils juridiques dont ils disposent, de trancher de telles questions. Il est d’ailleurs intéressant de remarquer, nous y reviendrons, que le juge pénal et le juge administratif ont des approches sensiblement différentes de ces sujets.
L’affaire qui nous occupe aujourd’hui était la suivante.
Saisi par une élue de la métropole de Lyon, le tribunal administratif de Lyon devait trancher une situation litigieuse relative à la désignation par le conseil métropolitain de ses représentants au sein du conseil d’administration de l’office public de l’habitat (OPH) Grand Lyon habitat. Parmi les élus désignés, figurait l’oncle du président en exercice de la Métropole, oncle qui fut ensuite élu président de l’OPH Grand Lyon habitat. À cela s’ajoutait le fait que le président de la métropole avait également exercé les fonctions de rapporteur du projet de délibération et ne s’était pas déporté lors du vote de ladite délibération.
La question juridique était finalement relativement simple et consistait à se demander si l’exécutif d’une collectivité territoriale pouvait légalement désigner un membre de sa famille comme représentant de celle-ci au sein d’un établissement satellite. À cela s’ajoutait la question des modalités pratiques d’une telle décision : le président de la métropole pouvait-il rapporter et prendre part au vote de la délibération désignant son oncle comme représentant de la métropole au sein du conseil d’administration de Grand Lyon habitat ?
À ces questions, la juridiction administrative lyonnaise répond de façon tout à fait logique et censure la délibération de la métropole puis en tire les conséquences en annulant l’élection de l’oncle à la présidence de l’OPH Grand Lyon habitat.
Pour ce faire, le jugement relève tout d’abord que le président de la métropole de Lyon était rapporteur de la délibération du 27 juillet 2020 désignant les représentants de la métropole au conseil d’administration de l’OPH Grand Lyon Habitat. Le tribunal administratif constate ensuite que le président de la métropole avait également pris part au vote de cette délibération qui mentionnait son oncle en première position.
Le tribunal administratif indique par ailleurs, il est important de le souligner, que ce lien de parenté ne faisait pas en lui-même obstacle à ce que la métropole désigne l’oncle pour siéger au conseil d’administration de l’OPH Grand Lyon Habitat. Cependant, eu égard aux dispositions de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, le tribunal considère que, préalablement à la délibération du 27 juillet 2020, le déport du président de la métropole de toute décision concernant personnellement son oncle aurait dû être organisé et prévu.
Ainsi, en toute logique, l’oncle n’ayant pas été légalement désigné par la métropole pour siéger au sein du conseil d’administration de l’OPH, il ne pouvait en être élu président.
Cette décision annulant la désignation de l’oncle, contre laquelle un appel a été formé, permet de mettre en application les multiples dispositions adoptées pour lutter contre les conflits d’intérêts adoptées à partir de 2013. Cette décision met également en avant le travail opéré par le juge.
La multiplicité des règles applicables
De multiples dispositions visent désormais à prévenir les conflits d’intérêts.
Aux termes de l’article 1er de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, aux termes duquel :
« Les membres du gouvernement, les personnes titulaires d’un mandat électif local ainsi que celles chargées d’une mission de service public exercent leurs fonctions avec dignité, probité et intégrité et veillent à prévenir ou à faire cesser immédiatement tout conflit d’intérêts ».
S’agissant d’abord de la notion de conflit d’intérêts, l’article 2 de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique définit celle-ci comme :
« toute situation d'interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou paraître influencer l'exercice indépendant, impartial et objectif d'une fonction ».
Afin d'éviter ces situations d'interférence, des mécanismes de prévention et de sanctions ont été élaborés. Ainsi, un mouvement de clarification juridique des situations sources de conflits d'intérêts a été opéré en 2021 et 2022 visant à identifier plus facilement les situations de prise d'intérêts condamnables.
S’applique également, à tous les élus locaux, la charte de l’élu local qui figure à l’article L. 1111-1-1 du CGCT, dont le § 2 dispose que :
« dans l’exercice de son mandat, l’élu local poursuit le seul intérêt général, à l’exclusion de tout intérêt qui lui soit personnel, directement ou indirectement, ou de tout autre intérêt particulier ».
L’illégalité de la participation d’un élu s’apprécie au regard de deux conditions cumulatives. La première est que l’élu soit intéressé personnellement ou comme mandataire. Il peut s’agir non seulement d’intérêts financiers, mais encore d’intérêts patrimoniaux, d’intérêts familiaux ou même d’intérêts moraux. Ainsi, à titre d’illustration, on notera qu’un conseiller municipal dont l’épouse occupe dans la commune un emploi d’agent de service à temps partiel doit être regardé comme personnellement intéressé à la délibération par laquelle il a été décidé de transformer cet emploi à temps partiel en emploi à temps complet3.
La seconde condition, purement jurisprudentielle, est que la participation de l’élu ait été de nature à influer effectivement sur le résultat du vote. Ainsi, la participation du « conseiller intéressé » aux travaux préparatoires et aux débats préalables peut vicier la délibération, même si l’élu s’est retiré avant le vote. Le rapporteur peut avoir influé sur la décision finale alors même que le vote a été acquis à l’unanimité. Si l’élu intéressé exerce un ascendant sur ses collègues, sa présence lors des débats vicie la délibération, même s’il s’est abstenu de prendre part au vote et même s’il a quitté la salle des séances lorsqu’on est passé au vote.
En l’espèce, il y avait bien un lien d’intérêt, de nature familiale, et il appartenait au juge de vérifier si un tel lien était de nature conflictuelle et, le cas échéant, en tirer les conséquences sur la légalité de la délibération contestée par voie d’exception.
On notera que la législation a évolué postérieurement aux faits de l’espèce.
Ainsi, l'article 15 de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire est venu modifier et surtout préciser l’article 432-12 du code pénal qui sanctionne la prise illégale d’intérêts. Le délit de prise illégale d'intérêts est désormais défini comme le fait par un agent public ou une personne investie d'un mandat électif public, de :
« prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt de nature à compromettre son impartialité, son indépendance ou son objectivité dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l'acte, en tout ou en partie, la charge d'assurer la surveillance, l'administration, la liquidation ou le paiement ».
La caractérisation de cette infraction suppose la réunion d'un élément matériel (un acte d'ingérence dans une entreprise ou une opération compromettant les exigences de neutralité qui s'imposent à l'action publique) et d'un élément intentionnel (l'élu doit avoir pris sciemment un intérêt dans une affaire soumise à son contrôle ou sa surveillance, cette intention n'impliquant cependant pas forcément que l'élu ait voulu retirer un avantage personnel de cette prise d'intérêts).
Ensuite, concernant la prévention des conflits entre intérêts publics, l'article L. 1111-6 au code général des collectivités territoriales (CGCT), a été introduit par la loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (loi dite « 3DS »)4, et pose le principe selon lequel la seule désignation d'un élu local, représentant sa collectivité territoriale ou un groupement au sein de l'instance décisionnelle d'une autre personne morale en application de la loi, ne suffit pas à considérer l'élu comme intéressé à l'affaire lorsque la collectivité territoriale ou le groupement délibère sur une affaire concernant cette personne morale5. Ce même article énumère les cas dans lesquels le déport de cet élu reste obligatoire lorsqu'il siège à l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement6.
L’analyse concrète des faits opérée par le juge administratif
Le juge a dû faire application de ces règles multiples, afin d’éviter toute confusion entre « le conseil métropolitain et le conseil de famille »7, selon la formule de Me Eric Landot.
Comment le juge administratif procède-t-il pour trancher les situations, comme en l’espèce, où une personne attaque une délibération au motif que les règles relatives à la prévention des conflits d’intérêts ont été méconnues et qu’il existe un risque de prise illégale d’intérêts au sens de l'article 432-12 du code pénal ?
Si l’approche du juge administratif est sensiblement différente de celle du juge pénal, le juge administratif estime que, pour que la délibération soit annulée, deux conditions sont requises : l'élu qui a participé à cette délibération doit avoir un intérêt personnel distinct de celui de la commune et doit avoir eu une influence sur la décision.
Ainsi que le dit avec beaucoup de justesse Me Philippe Bluteau,
« Cet adjectif [personnel] me semble le point d'équilibre idéal entre la nécessaire prévention des atteintes à la probité et la fluidité du travail administratif. Si l'élu n'a pris un intérêt que parce qu'il représente la commune dans un organisme extérieur, la délibération n'est pas annulée » 8.
Il ajoute également que :
« Lorsque l'élu ne participe pas au vote, il peut néanmoins avoir une influence effective. Celle-ci dépend de la position qu'il occupe – par exemple s'il est demandeur, contributeur en commission, rapporteur ou président de séance. Le juge cherchera également si la participation de l'élu aux débats en conseil municipal a influencé la décision des collègues »9.
Dans le même temps, le juge doit vérifier que les agissements contestés ne constituent pas une éventuelle méconnaissance de l’article 432-12 du code pénal. Ainsi, le juge administratif examinera la légalité de la décision au regard des dispositions de cet article. Et sur ce fondement, le Conseil d'État a ainsi annulé la décision d'un maire de recruter dans sa collectivité les deux fils de son adjoint, pendant que l'adjoint recrutait parallèlement son propre fils, au motif que cet acte exposait l'élu à la violation de l'article 432-1210.
En d’autres termes, le juge analyse concrètement la situation pour vérifier si oui ou non, l’élu avait un intérêt personnel et a pu exercer une influence sur la décision.
En l’espèce, le président de la métropole lyonnaise ayant rapporté sur le projet de délibération et pris part au vote, on peut légitimement penser qu’à tout le moins, il a pu avoir une influence, même légère, sur le sens du vote. Même s’il ne s’agit sans doute que d’une maladresse, il n’en reste pas moins que la sagesse aurait voulu que la théâtralité du déport formel soit de mise. En effet, le président de la métropole aurait parfaitement pu sortir de la salle du conseil, mettant ainsi en avant sa probité et montrant également son souhait de ne pas s’inscrire dans un quelconque conflit d’intérêts. De la même façon, il aurait été opportun que le président ne rapporte pas sur le projet de délibération.
Comme le relève le juge administratif lyonnais, le fait de designer son oncle n’est pas illégal en soi. En revanche, le faire de la sorte, l’est.
Reste donc à attendre le point de vue du juge d’appel…