(extraits)
Le 15 mars 2020, le premier tour des élections municipales dans la commune de V. (Haute- Loire) a conduit au renouvellement complet du conseil municipal dès ce premier tour, au profit de la liste d’opposition. Les dispositions exceptionnelles prises durant la crise sanitaire ont cependant différé l’entrée en fonction des nouveaux conseillers municipaux, qui ont été effectivement installés lors du conseil municipal du 28 mai 2020 à 19 h.
Mme X., détachée sur un emploi fonctionnel depuis le 1er juillet 2015 pour une durée de cinq ans, a demandé au maire sortant, à l’approche du renouvellement du conseil municipal, de l’autoriser à prendre un congé spécial sur le fondement de l’article 99 de la loi du 26 janvier 1984, ce qui lui a été accordé par un arrêté daté du 15 avril 2020, prenant effet au 1er juin 2020. Cet arrêté a été retiré par le nouveau maire, par un arrêté du 28 juillet 2020, que Mme X. conteste aujourd’hui devant vous.
Après avoir, dans un premier temps, remis en cause les conditions autorisant Mme X. à bénéficier de ce congé spécial, accordé sur demande au fonctionnaire détaché sur un emploi fonctionnel dans les cinq ans précédant l’ouverture de ses droits à la retraite, le maire s’est finalement fondé, pour prendre l’arrêté du 28 juillet 2020 attaqué, sur l’unique motif tiré de l’incompétence de l’ancien maire pour prendre cette décision.
La décision se fonde toutefois – de manière erronée – sur les dispositions de l’article L. 5211- 8 du code général des collectivités territoriales, applicables aux seuls syndicats de communes et au cas de l’annulation d’un scrutin, mais aussi plus généralement sur le principe selon lequel « entre deux tours des élections municipales, dans l’attente de l’installation des nouveaux élus, l’autorité désinvestie ne peut que prendre des décisions relevant de la gestion des affaires courantes » (sic).
La requérante soutient que la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 ayant prolongé le mandat des élus sortants n’a pas restreint expressément leurs attributions à la gestion des affaires courantes contrairement à ce qu’affirme la commune.
Cette loi ne définit cependant pas les attributions des élus dans cette période transitoire. Le III de l’article 19 de cette loi repousse la date d’entrée en fonctions des nouveaux conseillers élus au premier tour - date fixée ultérieurement au 18 mai 2020 par le décret n° 2020-571 du 14 mai 2020 - et le IV de ce même article 19, dans cette attente, précise que « les conseillers municipaux en exercice avant le premier tour conservent leur mandat jusqu'à l'entrée en fonction des conseillers municipaux élus au premier tour. » L’article 9 de cette même loi a prévu des dispositions dérogatoires aux règles budgétaires seulement. Le dernier alinéa du IV précise que « Les délégations attribuées aux élus dont le mandat est prolongé non plus qu'aucune délibération ne deviennent caduques de ce seul fait », mais n’est pas très éclairant pour le litige.
Si l’on se réfère au droit commun, les dispositions de l’article L. 2122-15 du code général des collectivités territoriales prévoient en substance que, en cas de démission, « Le maire et les adjoints continuent l'exercice de leurs fonctions jusqu'à l'installation de leurs successeurs » ; et que « en cas de renouvellement intégral, les fonctions de maire et d'adjoint sont, à partir de l'installation du nouveau conseil jusqu'à l'élection du maire, exercées par les conseillers municipaux dans l'ordre du tableau. » Autrement dit, en l’espèce, le nouveau conseil municipal ne pouvant être installé qu’à compter du 18 mai 2020, et ne l’ayant été effectivement que le 28 mai 19 h, cela impliquait que le maire sortant soit resté en fonction jusqu’à cette date.
Bien que vous ayez au dossier des lettres de démission du maire et de certains adjoints, datant du 19 mars, ceci est à notre avis sans conséquence, dès lors qu’il n’en ressort pas que le représentant de l’Etat les ait acceptées, ni même seulement reçues (L. 2122-15). Le maire est réputé être resté en fonction jusqu’à l’installation du nouveau conseil municipal, par l’effet de la loi du 23 mars 2020.
Sur le plan de la jurisprudence, s’il a été jugé qu’un « gouvernement démissionnaire ne peut que procéder à l’expédition des affaires courantes », selon « un principe traditionnel de droit public » (CE, Assemblée, 4 avril 1952, syndicat régional des quotidiens d’Algérie et autres, n° 86015), le Conseil d’Etat a aussi jugé à l’inverse plus récemment, et sans référence à un
quelconque principe général du droit qu’« Aucune disposition ne limite la compétence du Premier ministre au règlement des affaires courantes entre les deux tours d'une élection présidentielle. » (CE, 11 juin 2004, commune de Saint-Maur-des-Fossés et autres, n° 248443, B sur ce point). La différence tient entre les deux cas à la circonstance que l’exécutif soit démissionnaire ou que l’on se situe entre les deux tours d’une élection.
Voyez également les conclusions de M. Dacosta sous l’arrêt CE, 23 décembre 2011, ministre de l’intérieur, de l’Outre-Mer, des collectivités territoriales et de l’immigration, n° 348647 et 348648 , A, à propos de l’application de l’article L. 5211-8 du code général des collectivités territoriales : « … la logique aurait pu conduire à ce que vous renonciez à appliquer, pour la période concernée, la théorie de l’expédition des affaires courantes, théorie à laquelle vous n’aviez eu recours que pour compenser les inconvénients tenant à l’absence de disposition prorogeant le mandat des élus locaux. Tant qu’un mandat n'a pas expiré, son titulaire conserve normalement l'intégralité de ses compétences. »
Or, suite aux élections du 15 mars 2020, la loi du 23 mars 2020 a bien eu pour objet de prolonger la validité du mandat des élus sortants. Dans cette période courant jusqu’à l’entrée en fonction des nouveaux conseillers municipaux, à savoir le 18 mai 2020, le maire était dès lors autorisé à exercer ainsi la plénitude de ses compétences, qui sont d’ailleurs en matière de gestion du personnel des compétences propres, jusqu’au terme effectif de son mandat. (rappr. pour des décisions d’urbanisme durant cette même période : TA Dijon n° 2001207 ; TA Caen n° 2001671). Cette interprétation est également celle de la Direction générale des collectivités locales du ministre de l’intérieur (produite au dossier), que nous croyons bien placée pour connaître quel était le sens visé par ce texte de circonstance.
Par contre, entre le 18 mai et le 28 mai, date d’installation du nouveau conseil, nous pensons que le maire devait bien se limiter à expédier les affaires courantes, puisqu’il ne disposait plus d’un mandat, mais se trouvait réellement en position de transition.
La notion d’affaires courantes est éclairée par les conclusions du commissaire du gouvernement Delvolvé sous la décision d’assemblée « Syndicat régional des quotidiens d’Algérie » (préc.), qui distinguait :« - les affaires courantes par nature, c’est-à-dire « celles qui relèvent de l’activité quotidienne et continue de l’administration ; les affaires qui, bien que n’entrant pas dans la catégorie précédente, « présentent néanmoins un caractère d’urgence ; et enfin, troisième catégorie, les actes « qui ne sauraient jamais entrer dans les affaires courantes ou urgentes » : ceux qui « réalisent une modification durable d’un organisme ou d’un service public ou d’un statut juridique ».
Si une décision concernant la position d’un fonctionnaire peut être vue en principe comme une décision de gestion du personnel relevant du fonctionnement quotidien de l’administration, il n’en va pas de même à notre sens, dans les circonstances de l’espèce. La décision en cause, ayant pour effet de mettre un terme à l’emploi de directrice générale des services durant cette période transitoire délicate, et prenant d’ailleurs effet à une date à laquelle le nouveau maire prenait ses fonctions, n’était pas anodine.
Mais comme nous l’avons dit, avant le 18 mai 2020, le maire n’était nullement cantonné aux affaires courantes. C’est donc à tort que la décision attaquée considère que l’arrêté du 15 avril 2020 a été pris par une « autorité désinvestie » à cette date.
Il en résulte que le moyen tiré de l’erreur de droit commise par la décision attaquée, en ce que l’arrêté du 15 avril 2020 n’était pas entaché d’incompétence du maire, et par suite, ne pouvait être légalement retiré, doit à notre sens être accueilli.
Par ces motifs, nous concluons à l’annulation.