Du 1er août 2001 au 31 décembre 2005, M.M. a exercé sous forme individuelle une activité d'organisateur de lotos traditionnels et animation de thés dansants. L'entreprise individuelle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité qui a porté sur la période du 1er janvier 2002 au 31 décembre 2004.
Les rectifications envisagées ont été portées à la connaissance de l'entreprise le 19 juillet 2005 par une proposition de rectification portant, notamment, sur la remise en cause du taux réduit appliqué sur les recettes des lotos.
La Commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, saisie par M.M, s'est déclarée incompétente concernant la question du taux de TVA. Elle a toutefois estimé que l'activité d'organisateur de lotos traditionnels, exercée à titre principal et en dehors de tout lieu fixe, présentait un caractère forain.
L’administration fiscale n’ayant fait que partiellement droit à sa réclamation préalable, l'intéressé a soumis le litige à l'appréciation du Tribunal administratif de Dijon qui, par jugement du 11 juin 2009, a fait droit aux prétentions de M.M. En exécution de cette décision, un dégrèvement correspondant aux rappels de taxe sur la valeur ajoutée en litige a été prononcé par le service pour un montant de 43 552 €.
Le ministre interjette appel de ce jugement en soutenant que tribunal administratif de Dijon a donné une interprétation trop extensive des dispositions fiscales de l'article 279 b bis du code général des impôts.
On rappelle qu'aux termes de l'article 279 du même code : « La taxe sur la valeur ajoutée est perçue au taux réduit de 5, 50 % en ce qui concerne : [...] b bis-Les spectacles suivants : / [...] jeux et manèges forains à l'exception des appareils automatiques autres que ceux qui sont assimilés à des loteries foraines en application de l'article 7 de la loi du 21 mai 1836 portant prohibition des loteries [...] »
Ces dispositions méritent qu’on s’y arrête un instant. Dans un premier temps, en posant le principe que pouvaient bénéficier du taux de réduit « les jeux et manèges forains à l’exception des appareils automatiques », il nous semble clair que le législateur a entendu inclure, ce qui n’allait pas forcément de soi, les appareils automatiques, ou du moins certains d’entre eux, dans les jeux et manèges forains. Dans un second temps, le législateur a prévu une exception à l’exception en posant le principe selon lequel certaines loteries foraines, celles relevant de l’article 7 de la loi du 21 mai 1836, relevaient des appareils automatiques, ce qui, encore une fois, n’est pas si trivial…
En l’espèce il est constant que l’entreprise de M.M s’adonnait à l’organisation de lotos traditionnels, que vous assimilerez sans problème à des loteries. Mais s’agit-il de « loteries foraines », ou plutôt d’une activité assimilable à des loteries foraines en application de l’article 7 de la loi du 21 mai 1836 ?
Le requérant soutient que son activité est nécessairement foraine dès lors qu’il n’exerçait pas son activité de manière sédentaire. Pour en apporter la preuve, il vous produit un constat d’huissier démontrant que son matériel professionnel est entreposé chez lui. Le requérant semble donc interpréter l’adjectif « forain » comme un antonyme de celui de « sédentaire ».
Le Tribunal administratif de Dijon a largement avalisé cette interprétation en jugeant que le caractère forain d'une activité se caractérise par l'exercice nomade de celle-ci sur les places de foires et marchés, où l'exploitant transporte ses équipements et matériels. Il en a conclu que la double circonstance que M.M se déplace avec ses équipements d'animation et les cartes de loto dont la vente constitue ses recettes dans des salles où il organise des lotos traditionnels et qu’il anime ces derniers par ses prestations de bateleur confère à cette activité un caractère forain au sens des dispositions précitées de l'article 279 du code général des impôts.
L’administration, de son côté, soutient, on l’a déjà dit, que cette interprétation est trop large…
Un petit mot d’abord sur la charge de la preuve à propos de laquelle les avis des parties divergent. M.M l’a fait peser sur l’administration au motif que la commission départementale des impôts directs et taxes sur le chiffre d'affaires a été d’avis que son activité présentait un caractère forain.
Le ministre de son côté se prévaut de la jurisprudence Lebreton pour soutenir que l’avis de la commission départementale des impôts directs et taxes sur le chiffre d'affaires est sans incidence sur la charge de la preuve. Il soutient que lorsque l’application du taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée s’est traduite par une écriture dans la comptabilité, il appartient au contribuable de justifier l’exactitude de l’écriture correspondante et du bien-fondé de l’application d’un tel taux en se prévalant d’un arrêt CE 13 mai 1992, n° 071497, 9e et 8e s.-s., Nouvelles Editions musicales Caravelle.
Hormis le fait que cet arrêt ne nous semble pas conforme à la vision qu’en donne le ministre, vous savez qu’en matière de TVA, la jurisprudence a évolué. Relève ainsi du régime de la preuve objective le point de savoir si un contribuable peut prétendre à l'exonération (CE 15 février 1999 n° 176932, Gateaud et n° 176931, Durez : RJF 4/99 n° 0396, conclusions G. Bachelier BDCF 4/99 n° 036 ; CE 1er octobre 1999 n° 0170289 sect., Association Jeune France : RJF 11/99 n° 1354 avec chronique E. Mignon p. 823, conclusions J. Courtial BDCF 11/99 n° 0104 ; CE 26 février 2003 n° 0223293, Sté Pierre de Reynal et Cie : RJF 5/03 n° 0608 avec conclusions G. Goulard p. 403) ou entre dans le champ d'un régime d'imposition particulier (par exemple, le taux réduit (CE 12 janvier 2004 n° 247753, SA Sogeres : RJF 4/04 n° 0365, conclusions G. Goulard BDCF 4/04 n° 48) .
En application de cette jurisprudence, vous ferez donc un jugement à la Salomon en disant que le régime relève de la preuve objective. Toutefois, le régime de preuve objective ne signifie pas que le contribuable est dégagé de toute contrainte. Il lui appartient toujours de produire les éléments qu'il est le seul à détenir, en vertu d'une règle rappelée par Pierre Collin dans ses conclusions sur l'affaire de Section Etablissements Lebreton (CE 20 juin 2003 n° 232832 sect. : RJF 10/03 n° 01140 avec conclusions P. Collin p. 754).
Cet aparté nous a fait perdre le fil de notre raisonnement qui est de déterminer si l’activité de M. Milan peut être regardée comme une loterie foraine au sens de l’article 7 de la loi du 21 mai 1836 portant prohibition des loteries.
Or, cet article dispose, dans sa version résultant de la loi du 24 janvier 1995 que : « Sont également exceptées des dispositions des articles 1er et 2 ci-dessus les loteries proposées au public à l'occasion, pendant la durée et dans l'enceinte des fêtes foraines. ».
Il résulte donc clairement de ces dispositions que seules les loteries proposées à l’occasion, pendant la durée et dans l’enceinte d’une fête foraine peuvent bénéficier du taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée.
C’est du reste à une interprétation analogue à laquelle s’était livrée le tribunal administratif de Nantes à l’occasion du seul jugement des juridictions administratives, hormis celui attaqué du Tribunal administratif de Dijon, ayant répondu à la question de la définition d’une loterie foraine. Dans son jugement du 6 décembre 2002 (N° 9803530, SOCIETE EUROCID et S.A.R.L. MINI PARC), ce tribunal administratif avait jugé que les appareils en litige, qui avaient le caractère d’appareils automatiques, étaient proposés au public dans le cadre d’un parc de loisirs établi à titre permanent sur un terrain privé situé dans la commune de Saint‑Jean de Monts et exploité à titre saisonnier du 1er mai au 15 septembre de chaque année et qu’ainsi, ils ne pouvaient être regardés comme étant proposés au public dans le cadre d’une fête foraine, laquelle se caractérise par son caractère temporaire et itinérant.
Cette interprétation est surtout conforme à celle qu’en a donné le CE, dans son arrêt Confédération française de l'automatique (1991-01-18, 88524, publié au Recueil Lebon) relatif au recours pour excès de pouvoir contre le décret d’application de la version antérieure de l’article 7 de la loi du 21 mai 1836 (qui ne faisait qu’ajouter les distributeurs automatiques de confiserie) dans lequel il a jugé que cet article 7 distingue explicitement les appareils exploités dans le cadre d'une fête foraine de ceux qui le sont sur l'ensemble du territoire.
Or, il est constant que M.M exerçait son activité d’organisation et d’animation de lotos traditionnels dans des salles des fêtes ou associatives, en dehors de l’enceinte de fêtes foraines.
Le ministre soutient que, pendant la période litigieuse, les ventes de cartons de lotos étaient principalement organisées dans une salle de l'hôtel dénommé « Nota Bene » situé à Montceau-les-Mines. Cette salle était louée régulièrement par l'intéressé de manière hebdomadaire, notamment les jeudis. La publicité par voie de presse et par pancarte publicitaire placée en permanence à l'entrée du parking de l'hôtel attirait une clientèle constituée essentiellement d'habitués.
Le requérant ne conteste pas sérieusement cette affirmation. Il se borne à soutenir que « principalement » ne signifie pas « exclusivement » et qu’il lui arrivait d’organiser des lotos ailleurs dans cette salle d’hôtel mais il ne soutient à aucun moment qu’il se livrait à son activité à l’occasion des fêtes foraines.
Le ministre est donc fondé à soutenir que c’est à tort que les premiers juges ont, pour prononcer la décharge litigieuse, considéré que l’activité de M. Milan entrait dans le champ d’application de l’article 279 du code général des impôts et qu’il pouvait ainsi prétendre au bénéfice du taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée.
Il vous appartient par l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner les autres moyens soulevés par M.M.
Restons-en si vous le voulez bien au bien-fondé des impositions et notamment à l’application de la doctrine administrative.
La réponse ministérielle du 17 février 1992 à M. Charles Bernard (AN, p.766, n° 51550), dont se prévaut l’administration donne une interprétation conforme à celle que nous avons donné mais le requérant se prévaut de son côté de l’instruction administrative 3 C 6-88 du 28 février 1988 complétée par l’instruction 3 C-5-95 du 25 juillet 1995.
Mais cette doctrine, synthétisé dans la Documentation de Base DB3C2253 à jour au 30 MARS 2001, rappelle que L'application du taux réduit de la TVA est subordonnée au respect de l'ensemble des conditions suivantes : (…) être proposés au public exclusivement à l'occasion, pendant la durée et dans l'enceinte des fêtes foraines.
La doctrine dont se prévaut le requérant ne donne donc sur ce point aucune interprétation de la loi fiscale différente de celle que nous vous proposons d’adopter.
Enfin, le requérant se place sur le terrain de l’irrégularité de la procédure d’imposition en invoquant le défaut de motivation de la proposition de rectification du 13 juillet 2005. Il soutient à cet égard qu’elle est insuffisamment motivée dès lors qu’elle se contente de faire état d’une réponse ministérielle, la réponse Charles du 17 février 1992 dont nous avons précédemment parlé, sans valeur juridique pour qualifier le taux de taxe sur la valeur ajoutée applicable.
Il est vrai que la motivation est particulièrement malheureuse puisqu’elle ne cite pas les dispositions de l’article 273 du code général des impôts, ni a fortiori celles de la loi du 21 mai 1836 et se fonde uniquement sur la doctrine. Elle note par exemple : « En conséquence, conformément aux principes issus de la réponse parlementaire du 17 février 1992, le taux normal de 19, 6% est applicable aux recettes encaissées par M. Milan concernant son activité de Loto »
Toutefois, une notification est suffisamment motivée lorsqu’elle indique l’impôt concerné, l’année, les bases et les motifs du redressement (CE, 12 mai 1997, 143812, Quinquandon, RJF 1997.7, n° 1717). Or tel était le cas en l’espèce. Concernant les motifs, rien n’interdit à l’administration d’invoquer sa propre doctrine pour justifier de ses rectifications. La notification n’a pas, en revanche, à mentionner les articles du code général des impôts appliqués (CE, 7 janvier 1985, 32325, RJF 1985.3.212) du moment qu’elle permet au contribuable d’engager utilement la discussion (CE, plénière, 26 juin 1985, 41313, RJF 1985.8-9 ?644, DF 1985.46.2015 conclusions Latournerie).
La référence à sa propre doctrine est du reste valable que cette doctrine soit ou non conforme à la loi dès lors que le caractère suffisant ou insuffisant de la motivation est indépendant de la pertinence des motifs. En effet, la circonstance que les motifs soient erronés n’empêche pas le contribuable de les discuter, bien au contraire…
En l’espèce, la motivation de la proposition de rectification nous semble répondre aux canons de la jurisprudence, tout du moins celle du CE.
Par ces motifs, nous concluons :
- A l’annulation du jugement du 11 juin 2009 du Tribunal administratif de Dijon
- Au rejet de la demande présentée par M.M devant le Tribunal administratif de Dijon, ainsi que de ses conclusions au titre de l’article L761-1 du code de justice administrative.
- A la remise à sa charge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée dont M.M a été déclaré redevable au titre de la période du 1er janvier 2002 au 31 décembre 2004.