La commune de Crest a approuvé, par une délibération du 30 mars 2007, le programme d’aménagement d’ensemble (PAE) du quartier Saint-Antoine, un quartier important de l’ouest de la commune, d’environ 10 hectares, dont le PLU approuvé le 17 mars 2006 avait prévu l’urbanisation en raison de la forte demande locale en matière d’habitat. Pour mener à bien le programme d’équipements nécessaire à cette urbanisation, qui correspond globalement à la réalisation de quelques 120 logements, cette délibération a donc prévu qu’une participation serait demandée aux constructeurs, en lieu et place de la taxe locale d’équipement (TLE), laquelle apparaissait insuffisante pour le financement de ce programme.
Dans ce cadre, la société Khor Immobilier, promoteur-lotisseur, aux droits de laquelle est venue la société F., a été chargée de réaliser les voies et réseaux divers d’un lotissement de 28 lots dénommé « Le Clos Saint-Antoine ». Elle a obtenu, tacitement, un premier permis d’aménager, le 24 septembre 2011, pour la création de ce lotissement. Elle a ensuite obtenu, le 27 avril 2012, un permis d’aménager modificatif qui a fixé les modalités de calcul de sa participation au titre du PAE. Cette participation a été arrêtée à la somme de 283.173, 35 euros. La moitié a été appelée lors de l’ouverture du chantier et la société Khor l’a versée le 3 août 2012, après l’émission, le 26 juin 2012, d’un titre exécutoire de 141.588, 17 euros. L’autre moitié, du même montant donc, a fait l’objet d’un nouveau titre de recettes, le 25 juin 2014, que la société Khor a refusé de payer. Après une lettre de relance du 25 septembre 2014 et une mise en demeure de payer du 20 juillet 2015, le comptable public a mis en œuvre une opposition à tiers détenteur auprès de la banque de la société Khor. Le patrimoine de celle-ci ayant été transféré vers la société F., associée unique de la société Khor, un nouveau titre exécutoire, du même montant, a donc été émis le 4 décembre 2015, à l’encontre de la société F..
C’est donc ce titre que la société F. a contesté devant le Tribunal administratif de Grenoble pour en obtenir l’annulation, ou, à titre subsidiaire, pour obtenir la réduction (d’une somme de 66.120, 17 euros) du montant mis à sa charge. Ses conclusions devant la Cour sont identiques. Les premiers juges qui étaient aussi saisis d’une contestation de l’opposition à tiers-détenteur qui avait été formée par le comptable public ont, sur ce point, prononcés un non-lieu à statuer. Mais ils ont rejeté les conclusions présentées contre le titre exécutoire du 4 décembre 2015 et mis à la charge de la société une somme de 1200 euros au titre des frais irrépétibles.
Le contentieux des titres exécutoires relève de votre office de plein contentieux : Conseil d’Etat Section n° 74319, 27 avril 1988. Et, en raison de la portée différenciée de l’annulation que vous pouvez prononcer, selon que vous retenez un moyen tenant au bien-fondé ou un moyen tenant à la régularité formelle du titre, vous devrez d’abord examiner le bien-fondé avant la régularité formelle : Conseil d’Etat n° 413712 du 5 avril 2019 Société Mandataires Judiciaires Associés, en A. Les moyens visant la régularité formelle du titre, qui, s’ils sont fondés, n’entraînent pas l’extinction de la créance, l’administration pouvant émettre un autre titre, sont nécessairement présentés à titre subsidiaire : Conseil d’Etat n° 413712 du 7 avril 2019, centre d’exportation du livre français, en A.
Devant vous la société F. soutient que des travaux supplémentaires non compris dans le PAE lui auraient été demandés par la commune. Elle rappelle l’article L.332-9 du code de l’urbanisme qui était alors applicable et qui prévoyait que le PAE pouvait mettre à la charge des constructeurs « tout ou partie des équipements publics réalisés pour répondre aux besoins des futurs habitants ou usagers des constructions à édifier sur le secteur concerné ». Elle rappelle aussi que les PAE ne sont plus possibles depuis le 1er mars 2012. Elle rappelle enfin que la délibération du 31 mars 2007 a évalué l’ensemble des aménagements nécessaires et fixé à 60, 1 euros par m² de SHON construite la participation de chaque constructeur.
Selon la requérante, elle aurait été contrainte de réaliser des travaux extérieurs au lotissement (travaux de drainage d’une source, pour éviter qu’elle n’engorge les terrains voisins, qui constituerait des travaux d’extension du réseau public d’eau pluviale ; travaux de mise en place du réseau d’évacuation des eaux pluviales nécessaire au lotissement ; travaux d’extension du réseau public d’assainissement ; travaux pour l’extension des canalisations des réseaux existants d’eaux pluviales et d’alimentation en eau potable ; travaux d’extension et de renforcement des réseaux électriques et de téléphone), et elle aurait aussi été contrainte à des travaux à l’intérieur du lotissement (travaux de voiries ; d’installation de compteurs d’eau individuels ; de nettoyage de la voirie) . Sur ce fondement elle demande donc la réduction de son obligation de payer.
Nous ne nous attarderons pas sur ce point car les premiers juges ont parfaitement analysé la situation. Tout ce qui concerne les réseaux sont des raccordements du lotissement aux réseaux publics existants dépendant de la commune de Crest. A aucun moment la société F.ne justifie être intervenue sur les réseaux publics pour des travaux d’extension. Quant aux travaux effectués à l’intérieur du lotissement ils incombaient à la société F. en tant qu’aménageur.
Dans son mémoire en réponse du 19 juin 2019 la société F. est venue contester l’insuffisance de motivation du titre exécutoire en raison du défaut de mention des bases de liquidation, au regard des exigences de l’article 24 du décret 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique.
Dans nos conclusions lors de l’audience initiale du 14 mai 2020 nous avions examiné ce moyen et conclu, avec quelques hésitations, car la requérante ne pouvait être dans une totale ignorance du solde auquel faisait référence le titre exécutoire, nous avions donc conclu, malgré tout, mais sur le fondement d’une jurisprudence bien établie du Conseil d’Etat (Conseil d’Etat n° 405014, 6 avril 2018 et aussi Conseil d’Etat n° 272216, 11 janvier 2006 Oniflhor), que la règle formelle impérative de l’article 24 du décret du 7 novembre 2012 imposant l’indication des bases de liquidation, soit par le titre lui-même, soit par un document qui lui est annexé, ce qui n’était pas le cas ici, le permis modificatif d’aménager du 27 avril 2012 n’étant pas joint au titre exécutoire, que cette règle formelle n’était pas respectée et que cela impliquait la censure du titre.
Toutefois, la note en délibéré produite le 14 mai 2020 par le conseil de la commune de Crest nous a ramené vers une jurisprudence de Section du Conseil d’Etat certes ancienne, du 20 février 1953, mais qui, à ce jour n’a pas été remise en cause, et qui, contrairement à ce que soutient la société F. s’applique au contentieux de pleine juridiction qui nous occupe, à savoir la fameuse jurisprudence Intercopie, en vertu de laquelle, comme le rappelle à juste titre la commune de Crest, il n’est pas possible, après l’expiration du délai de recours contre le jugement de première instance, de faire valoir des moyens relevant d’une cause juridique distincte de ceux qui ont été soulevés dans ce délai de recours.
Or, effectivement, ce n’est que dans son mémoire en réplique du 19 juin 2019, après l’expiration du délai de recours contre le jugement de première instance, que la société F., qui n’avait abordé dans sa requête d’appel du 16 juillet 2018 contre le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 17 mai 2018 que le fond de sa participation au PAE du quartier Saint-Antoine, que la société F. a soulevé ce moyen de régularité formelle du titre exécutoire, soit un moyen fondé sur une cause juridique distincte. En conséquence, le moyen soulevé était bien, comme le soutient la commune de Crest, irrecevable : voyez par exemple sur point Conseil d’Etat n° 259574, 9 juin 2006, EARL de La Hêtraie, cité par la commune de Crest. Cela vous conduira donc à écarter ce moyen.
Et, comme nous l’avons vu, le fond de la participation de la société F. au PAE du quartier Saint-Antoine ne pouvant être remis en cause, il vous faudra donc rejeter la requête d’appel qui vous est présentée par la société F.. Et vous pourrez mettre à la charge de celle-ci une somme de 2.000 euros qui sera versée à la commune de Crest sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Irrecevabilité du moyen tenant à l’irrégularité formelle du titre exécutoire contesté, fondé sur une cause juridique distincte du moyen de fond soulevé dans la requête d’appel initiale, en raison de sa présentation après l’expiration du délai de recours contre le jugement de première instance : Conseil d’Etat Section 20 février 1953 n° 9772 société Intercopie rec. p.88 – Conseil d’Etat n° 259574, 9 juin 2006 EARL de La Hêtraie.