Les dispositions de l’article 238 quaterdecies du code général des impôts prévoient un régime d’exonération des plus-values professionnelles applicable jusqu’au 31 décembre 2004. Les requérants pouvaient-ils bénéficier de ce régime ? En l’espèce, la Cour juge que la vente litigieuse n’a revêtu un caractère parfait que le jour de la réalisation de la condition suspensive découlant des termes de l’acte de cession du 28 décembre 2004, des statuts de la société d’exercice libéral bénéficiaire de la cession et des statuts de cette dernière. Il convenait donc de prendre en compte la date de l’inscription au tableau de l’ordre des avocats de la société d’exercice libéral. La plus-value devait alors être regardée comme réalisée au 1er janvier 2005 et les requérants ne pouvaient pas bénéficier du régime d’exonération tel que prévu par les dispositions de l’article 238 quaterdecies du code général des impôts dans sa rédaction applicable au 31 décembre 2004.
Plus-values professionnelles et régime d’exonération
Décision de justice
CAA Lyon, 5ème chambre – N° 11LY01618 – 15 novembre 2012 – C+ 
Pourvoi en cassation non admis par le Conseil d'Etat N° 365327 du 4 décembre 2013
Index
Textes
Résumé
Conclusions du rapporteur public
Dominique Jourdan
Rapporteur public à la cour administrative d'appel de Lyon
DOI : 10.35562/alyoda.6039
La loi n° 2004-804 du 9 août 2004 pour le soutien à la consommation et à l'investissement avait été adoptée dans le but d’encourager la croissance et la création d'emplois, et comportait à cette fin un certain nombre de mesures d'application limitées dans le temps.
C’est ainsi qu’a été créé l’article 238 quaterdecies, favorisant la transmission des activités de proximité en instituant une exonération temporaire des plus-values professionnelles réalisées par les contribuables exerçant une activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale. Les conditions étaient alors souples : la cession devait être réalisée à titre onéreux, porter sur une branche complète d'activité et ne pas excéder la somme de 300 000 euros. Cette exonération concernait les cessions intervenues entre 16 juin 2004 et le 31 décembre 2005.
Quatre mois plus tard, la loi n° 02004-1485 du 30 décembre 2004 venait modifier, à compter du 1er janvier 2005 le dispositif, en excluant du bénéfice de l’exonération, les ventes à soi-même, c'est-à-dire les cessions de clientèle lorsque le cédant conserve, d’une manière ou d’une autre, l’exploitation de sa propre clientèle.
M. C, requérant, a tenté de bénéficier in extremis du système favorable applicable entre le 16 juin 2004 et le 31 décembre 2004 en cédant, le 28 décembre 2004, le droit de présentation de sa clientèle d’avocat à la société d’exercice libéral d’avocats à responsabilité limitée « FIDACT » dont il est le gérant et l’associé unique.
→ L’administration a remis en cause l’exonération de plus-value alors réalisée de 280 000 euros, en soutenant que la société d’exercice libéral n’était pas créée en 2004, ainsi que l’exigeait la loi, mais en 2005.
Selon l’administration, cette société était réputée ne pas exister, tant qu’elle n’était pas inscrite au barreau, en application des dispositions de l’article 3 du décret 93-492 du 25 mars 1993 selon lesquelles : « La société d'exercice libéral est constituée sous la condition suspensive de son inscription au barreau établi auprès du tribunal de grande instance dans le ressort duquel est fixé le siège de la société et au tableau duquel est inscrit l'un au moins des associés exerçant au sein de la société » Elle a considéré qu’il s’agissait là d'une condition suspensive qui n’a été réalisée en l’espèce que le 1er janvier 2005, lorsque le Conseil de l’ordre a délibéré sur l’inscription de la SELARL FIDACT le 3 janvier 2005 avec effet rétroactif au 1er janvier 2005. Le tribunal administratif de Dijon a confirmé le bien fondé des impositions résultant de cette remise en cause par un jugement en date 5 mai 2011, dont il est relevé appel.
→ Devant vous, M. C fait valoir que l’acte de cession enregistré au service des impôts le 29 décembre 2004 ne comporte aucune condition suspensive, et que la vente est parfaite dès sa signature en application de l’article 1583 du code civil, sans qu’il y ait lieu de s’interroger sur l’exploitation des éléments cédés. IL est fait référence à la doctrine administrative en matière de droits d’enregistrement. IL soutient que la société FIDACT a été immatriculée au registre du commerce le 27 décembre 2004, et disposait alors de la personnalité morale. A titre subsidiaire, il vous demande de vous référer aux dispositions de l’article 210-6 ème alinéa du code du commerce, et à celles de la loi 90-1258 du 31 décembre 1990 auxquelles le décret n° 02004-852 du 23 août 2004 aurait ajouté.
→ Il est exact que la convention signée le 28 décembre 2004 ne contient aucune clause suspensive explicite.
→ Pour autant, la particularité de cette cession ne vous échappera pas : Il ne s’agit pas d’une valeur mobilière ou immobilière acquise en vue d’une éventuelle revente. Il s’agit de la vente d’une clientèle en vue de l’exercice de la profession d’avocat, lequel est soumis à une inscription au tableau de l’ordre :
- cette condition d’inscription figure à l’article 3 du décret du 25 mars 1993 pris pour l'application à la profession d'avocat de la loi du 31 décembre 1990 relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé,
- elle est très naturellement, reprise dans les statuts de la société FIDACT, dans son article 5
- elle est sous entendue dans l’acte de cession lui-même à l’article 3 de l’acte de vente, qui précise que la société devra, pour exercer, justifier réunir des conditions requises pour exercer la profession d’avocat.
→ Pour déterminer si un contrat a été conclu sous une condition suspensive, le juge n’est pas lié par les qualifications données par les parties, mais doit se fonder sur leur commune intention, et les circonstances de l'espèce, ce qui permet, le cas échéant, la requalification d’une clause suspensive en clause résolutoire.
Sur le plan fiscal, une vente réalisée sous condition suspensive est considérée comme emportant transfert de propriété à la date de réalisation de la condition ( CE 30 juin 1976, n° 92674, RJF 9/76 n° 397) . Au contraire la condition résolutoire est sans incidence sur le transfert de propriété, qui a lieu et est imposable dès la cession (CE 6 décembre 1978, n5871, RJF 1/79 n° 23 ; 6 février 1981, n° 22189, RJF 4/81 n° 343; 30 novembre 1990, P., RJF 1/91 n° 63) . Et en cas de résolution de la vente, le contribuable peut obtenir la restitution des droits indument versés (Section 11 octobre 1974, n° 85117, pA83 ; 27 février 1980, n° 15222, RJF 4/80 n° 273).
→ Ainsi que le souligne le requérant, l’inscription au tableau de l’ordre des avocats ne constitue pas une condition préalable à la vente, à la différence, par exemple de la transmission des offices de notaires, subordonnée par la loi à un agrément ministériel. Le conseil d’Etat juge alors que la vente n'est réalisée et la plus-value n'était imposable qu'au plus tôt lors de la publication de la nomination du successeur (CE 23 janvier 1985, B., RJF 3/85 n° 406).
Il n’en reste pas moins une interaction entre la formation et l'exécution des contrats et les procédures d'autorisation au sein desquels figure l’inscription par un ordre.
L’autorisation peut porter sur un élément extérieur à la vente, sur les conditions de jouissance du bien, et non sur le bien lui-même, telle la vente d'un terrain qui peut être réalisée sous condition de la délivrance d'un permis de construire.
→ Et il est des autorisations qui portent sur l'objet même du contrat, et qui sont une condition de validité de celui-ci.
La profession d’avocat comme celle d’expert-comptable n'est pas soumise à une procédure spécifique d'agrément lors des cessions de clientèles ou des cabinets, et ces cessions ne sont pas davantage soumises à une procédure de transmission et d'examen des contrats. Mais l’exercice de la profession, lui, est subordonné à l'inscription au tableau de l'ordre.
ET s’agissant des experts-comptables, le Conseil d’Etat a jugé dans un arrêt N° 0283956 M. et Mme Paul DEPERROIS du 11 avril 2008 aux conclusions de Melle C. VEROT, que l’inscription était une comme une condition légale de validité de la convention de cession de clientèle. Certes, dans cette affaire, le contrat comportait une clause (l’article 80) selon laquelle « pour être valable et exécutable, l’acte de cession devra être préalablement soumis à l’agrément du conseil régional de l’ordre des experts-comptables et réglementant le titre et la profession d’expert-comptable et des comptables agréés ».
Le contrat de cession de M. C comporte une clause semblable, dans son article 3 : « la société doit justifier de toutes les conditions requises pour exercer la profession d’avocat. ».
→ Peu importe à vrai dire, la rédaction de la clause faisait référence explicitement ou implicitement au fait que l’exercice de la profession d’avocat est conditionné à l’inscription au tableau de l’ordre des avocats. Il l’est à raison des dispositions de la loi et ses décrets d’application. La solution adoptée pour la profession des experts comptables est transposable à la profession des avocats.
En conclusion, l’acte de cession qui porte sur l’exercice de cette profession est soumis à une condition de validité, laquelle est en l’espèce implicitement repris à l’article 3 du contrat, qui s’est trouvée réalisée à la date de l’inscription de la société au tableau de l’ordre, soit en l’espèce le 1er janvier 2005.
La date de réalisation d'une plus-value est déterminée d'après la date à laquelle le transfert de propriété de l'élément cédé est intervenu (cf. CE 6 juillet 1990 n° 63812 et 66143 : RJF 10/90 n° 1186). En ce qui concerne les ventes sous condition suspensive, le transfert de propriété intervient, du point de vue fiscal, à la date de réalisation de la condition (cf. CE 30 juin 1976 n° 92674 et 93186 : RJF 9/76 n° 397).
→ Intervenue en 2005, la cession est dont soumise aux nouvelles conditions de l’article 238 quaterdecies applicables à compter du 1er janvier 2005, et l’exonération est exclue lorsque que le cédant garde comme en l’espèce, la main mise sur sa clientèle.
→ Rien de choquant à cela, l’exonération était justifiée par le législateur par la volonté de relance de l’activité économique et la sauvegarde des commerces de proximité. L’unité s’est faite sur cette loi autour des propos du Professeur Maurice Cozian dans son étude « Vente à soi-même d'un cabinet médical et exonération « Sarkozy » : abus de droit ou effet d'aubaine ? » (Dr. fisc. 2008, n° 11, étude 204), qui sont les suivants « Il y a incontestablement quelque chose de provoquant à voir des professionnels libéraux tirer un profit inespéré de la loi Sarkozy du 9 août 2004 en se vendant à eux-mêmes leur cabinet, par la grâce d'une SEL, et en bénéficiant miraculeusement de l'exonération complète des plus-values de cession.
(…)
Par ces motifs, nous concluons au rejet de la requête.
Droits d'auteur
Ces conclusions ne sont pas libres de droits. Leur citation et leur exploitation commerciale éventuelles doivent respecter les règles fixées par le code de la propriété intellectuelle. Par ailleurs, toute rediffusion, commerciale ou non, est subordonnée à l’accord du rapporteur public qui en est l’auteur.
La date d’imposition de la plus-value en cas de « vente à soi-même » de la clientèle d’avocat (art. 238 quaterdecies du CGI en vigueur avant le 1 janvier 2005)
Lukasz Stankiewicz
Maître de conférences de droit public à l'Université Jean Moulin Lyon 3, Centre d'Etudes et de Recherches Financières et Fiscales
DOI : 10.35562/alyoda.6040
I. Le contexte
L’éphémère dispositif de l’article 238 quaterdecies du CGI nourrit depuis quelques années un contentieux relativement abondant.
Rappelons que l’article 238 quaterdecies était issu de la loi n° 2004-804 du 9 août 2004 pour le soutien à la consommation et à l’investissement. Il avait pour objectif de favoriser la transmission des activités de « proximité » avec l’idée d’éviter que le petit restaurateur ou épicier ne décide de céder son droit au bail commercial à une banque ou une compagnie d’assurances, susceptibles de proposer le meilleur prix, plutôt que de céder son fonds de commerce à un véritable repreneur susceptible de poursuivre l’activité.
Pour inciter les cédants à franchir le pas, l’article 238 quaterdecies prévoyait d’exonérer la plus-value professionnelle réalisée lors de la cession à condition que celle-ci soit effectuée à titre onéreux pour une valeur n’excédant pas 300.000 € et qu’elle porte sur une branche complète d’activité (ce qui excluait des cessions isolées des éléments d’actif, notamment le seul droit au bail ; sur la notion de branche complète d’activité pour l’application de l’article 238 quaterdecies ou 238 quindecies voir TA Amiens 20 mai 2010, n° 08-3257, D. : RJF 2011, n° 15 ; CE, 22 fév. 2012, n° 349395, T. : RJF 2012, n° 596 ; CAA Lyon 24 avr. 2012, n° 11LY01696, 5e ch., SARL Surf Expérience : RJF 2012, n° 0895 ; TA Lyon 15 fév. 2011, n° 00805959, 6e ch. C. : RJF 2011, n° 01028) . Par ailleurs, la liste des contribuables susceptibles de bénéficier de l’exonération était ouverte : sociétés soumises à l’IS et contribuables relevant de l’IR, exerçant une activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale.
L’article 238 quaterdecies a ainsi ajouté un nouveau chapitre au catalogue des mesures portant exonération ou prévoyant un report d’imposition des plus-values professionnelles réalisées par les petites et moyennes entreprises (articles 151 septies, 151 septies A, 151 septies B, 151 octies, 41, 41 bis du CGI…) . Si la portée de l’article 238 quaterdecies était limitée dans le temps - il ne devait s’appliquer qu’aux cessions réalisées entre le 16 juin 2004 et 31 décembre 2005 – son mécanisme se poursuit à travers l’article 238 quindecies du CGI, issu de l'article 34 de la loi 2005-1720 du 30 décembre 2005, toujours en vigueur. Ce dernier texte a même étendu le champ de l’article 238 quaterdecies aux transmissions à titre gratuit et aux cessions réalisées dans le cadre d'une activité agricole.
Cependant, l’article 238 quaterdecies initial a donné lieu à des pratiques d’optimisation fiscale pour le moins éloignées de l’intention qui semblait guider le législateur. Il a été observé des opérations par lesquelles une personne exploitant une activité en nom propre cédait à titre onéreux son fonds commercial, artisanal ou libéral à une société créée à cette occasion et dont elle assurait le contrôle. Le but de l’opération était de neutraliser la plus-value, latente dans la valorisation du fonds commercial, artisanal ou libéral, en vue d’une future cession de ce fonds par la société. Cette dernière calculerait alors la plus-value en tenant compte du prix d’acquisition versé à l’ancien exploitant, devenu associé et dirigeant. Par ailleurs, l’acquisition du fonds pouvait être financée par l’emprunt, auquel cas la société acquéreuse avait la possibilité de déduire les intérêts parmi ses charges financières, alors que l’exploitant bénéficiait d’une importante somme en trésorerie.
Sur le plan économique, l’opération avait des allures d’une « vente à soi-même », label évocateur que la pratique a attaché à ces transactions qui semblent avoir particulièrement séduit le secteur libéral (médecins, avocats, experts-comptables…).
Le ministère des finances a rapidement réagi pour combler la faille en sollicitant le législateur pour amender le texte à la première occasion. Ainsi, l’article 52 de la loi 2004-1485 de finances rectificative pour 2004 a introduit une règle anti-abus qui a écarté le bénéfice de l’exonération lorsque le cédant contrôlait la société cessionnaire, en substance, soit parce qu’il détenait directement ou indirectement plus de 50% des droits de vote ou des droits aux bénéfices sociaux, soit parce qu’il exerçait, en droit ou en fait, directement ou indirectement, la direction effective du cessionnaire. Cependant, le « correctif » ne s’appliquait que pour les cessions effectuées à compter du 1er janvier 2005. Pour les cessions réalisées du 16 juin 2004 au 31 décembre 2004, l’administration, dans sa doctrine écrite, a néanmoins brandi la menace de l’application de la procédure de répression des abus de droit (art. L. 64 du LPF) .
II. Les faits et enjeux
L’espèce tranchée par la Cour administrative d’appel de Lyon concernait manifestement un contribuable souhaitant bénéficier in extremis de l’application du régime de l’exonération en vigueur avant le 1er janvier 2005.
Le contribuable, avocat exerçant à titre individuel, a cédé le droit de présentation de sa clientèle et du matériel à une SELARL dont il était gérant et associé unique. L’acte de cession portait la date du 28 décembre 2004 et a été enregistré le 29 décembre 2004 à la recette divisionnaire de Mâcon alors que la société a été immatriculée au RCS de Mâcon le 27 décembre 2004. Cependant, le Conseil de l’ordre des avocats n’a délibéré sur l’inscription au barreau de la SELARL que le 3 janvier 2005 avec effet rétroactif au 1 janvier 2005.
Les moyens visés par la décision se sont concentrés essentiellement autour du point de savoir à quelle année, 2004 ou 2005, rattacher la réalisation de la plus-value. Le contribuable argumentait, en substance, que la cession était parfaite dès l’accord sur la chose et le prix alors que l’administration soutenait que le fait générateur de la plus-value n’a pu se produire avant l’inscription de la société cessionnaire au barreau, soit en 2005.
Du reste, l’administration, qui n’a pas suivi la procédure de répression des abus de droit, ne pouvait espérer obtenir gain de cause qu’en rattachant la plus-value à l’année 2005. Elle était alors assurée du succès dans la mesure où le cédant, étant à la fois associé unique et gérant de droit de la société cessionnaire, tombait manifestement sous le coup du dispositif visant le « ventes à soi-même », applicable aux cessions réalisées à compter du 1 janvier 2005.
On notera, à titre incident, que dans deux arrêts récents en date du 23 juillet 2012, la Conseil d’Etat a jugé que les opérations de « vente à soi-même » ne constituaient pas un abus de droit au sens de l’article L. 64 du LPF (CE 23 juillet 2012, n° 342017, 3e et 8e s.-s., B. : Dr. fisc. 2012, n° 48, comm. 538, concl. E. CORTOT-BOUCHER, note F. DEBOISSY ; RJF 2012, n° 1043, concl. BDCF 11/12 n° 130 ; voir aussi M. COZIAN, « Vente à soi-même d’un cabinet médical et exonération « Sarkozy » : abus de droit ou effet d’aubaine ? », Dr. fisc. 2008, n° 11, p. 204).
En matière d’impôts directs, la plus-value consécutive à une vente est réalisée au moment du transfert de propriété. L’approche fiscale n’est pas ici différente des conceptions civilistes : on se réfère au moment de l’accord des parties sur la chose et sur le prix, sachant que les cocontractants peuvent décider d’anticiper ou de retarder le transfert de propriété. D’un point de vue fiscal, en cas de vente assortie d’une condition suspensive, le fait générateur de la plus-value est reporté à la date de réalisation de la condition. Au contraire, les ventes sous condition résolutoire dégagent une plus-value dès la cession, le contribuable pouvant, le cas échéant, obtenir restitution du trop-perçu en cas de résolution de la vente.
La question dont dépendait la solution, à laquelle la Cour a répondu positivement en déboutant le contribuable, était donc celle de savoir si l’acte de cession ayant acquis date certaine le 29 décembre 2004 était réalisée sous condition suspensive de l’inscription de la société cessionnaire au barreau de Mâcon.
III. Le raisonnement
Le Conseil d’Etat a déjà pu reconnaître l’existence d’une telle condition suspensive, renvoyant à une autorisation administrative, dans les espèces concernant les cessions de clientèle de notaire (CE 23 janvier 1985 n° 43748, B. : RJF 3/85 n° 0406) et d’expert-comptable (CE 11 avril 2008 n° 283956, 10e et 9e s.-s., D. : RJF 2008, n° 812 ; Dr. fisc. 2008, n° 19, comm. 315). On notera aussi, dans le même sens, un jugement du tribunal administratif de Paris concernant la profession de chirurgien-dentiste (TA Paris, 2e sect., 2e ch., 12 mars 2012, n° 1015741/2-2, M. et Mme M. : JurisData n° 2012-012383). L’arrêt commenté ici, éclairé par les conclusions du rapporteur public, Madame Dominique Jourdan s’inscrit dans le droit fil de cette jurisprudence. C’est dans cette assimilation que réside l’apport juridique de cette décision car, à notre connaissance, il n’existait pas de jurisprudence concernant le moment précis de cession de la clientèle d’avocat à une société d’exercice libéral.
Pour asseoir sa décision et sans doute par précaution eu égard à une certaine complexité des faits de l’espèce, la Cour a déduit l’existence d’une telle condition suspensive de pas moins de trois sources différentes : des termes de l’acte de cession lui-même, des statuts de la société cessionnaire ainsi que des dispositions légales et réglementaires relatives à la constitution des sociétés d’exercice libéral.
Il est incontestable qu’une condition suspensive peut valablement résulter des termes du contrat lui-même, la jurisprudence fiscale respectant l’autonomie de la volonté des parties. Cependant, en l’espèce, la Cour administrative d’appel de Lyon admet qu’aucune condition suspensive expresse ne découlait des termes de l’acte de cession lui-même. L’acte évoquait simplement que le cédant autorise la société (…) « qui accepte et justifie réunir toutes les conditions requises pour l’exercice de la profession d’avocat » à se présenter auprès de la clientèle. Or, l’exercice de la profession d’avocat nécessite une inscription au barreau. La Cour a néanmoins considéré que cette formule contractuelle, quelque peu alambiquée, impliquait, implicitement mais nécessairement, le fait de conditionner le caractère parfait de la cession à l’inscription de la société au barreau.
La Cour s’est donc livrée à une lecture constructive des termes du contrat non exempte du risque de dénaturation. On note à ce titre que dans la décision du Conseil d’Etat concernant la profession d’expert-comptable, dans le sillage de laquelle la juridiction lyonnaise entendait s’inscrire, les juges du Palais Royal avaient à leur disposition un énoncé contractuel dépourvu d’ambigüité : « pour être valable et exécutable, l'acte de cession devra être préalablement soumis à l'agrément du conseil régional de l'ordre des experts-comptables et réglementant le titre et la profession d'expert-comptable et des comptables agréés » (CE 11 avril 2008, préc.) . Cela dit, le Conseil d’Etat a par ailleurs estimé que cette stipulation contractuelle était insérée pour « l’application [des] dispositions » légales et réglementaires régissant la profession d’expert-comptable, ce dont on peut déduire que la solution aurait été la même en l’absence de cette clause.
Ainsi, indépendamment des stipulations contractuelles, la Cour de Lyon a pu juger que la cession de la clientèle d’avocat à une SELARL était assortie de plein droit d’une condition suspensive consistant en l’inscription de cette société au barreau, résultant des textes légaux et réglementaires.
Ces textes recouvrent, d’une part, l’article 3 de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières de professions libérales, lequel dispose que « la société ne peut exercer la ou les professions constituant son objet social qu'après son agrément par l'autorité ou les autorités compétentes ou son inscription sur la liste ou les listes ou au tableau de l'ordre ou des ordres professionnels » avant d’ajouter que « l'immatriculation de la société ne peut intervenir qu'après l'agrément de celle-ci par l'autorité compétente ou son inscription sur la liste ou au tableau de l'ordre professionnel » et, d’autre part, l’article 3 du décret du 25 mars 1993, pris pour appliquer à la profession d’avocat les dispositions de la loi du 31 décembre 1990, qui dispose, pour sa part, que « la société d’exercice libéral est constituée sous la condition suspensive de son inscription au barreau établi auprès du tribunal de grande instance dans le ressort duquel est fixé le siège de la société et au tableau duquel est inscrit l’un au moins des associés exerçant au sein de la société ». On notera au demeurant que le moyen tiré de l’illégalité du décret précité en ce qu’il aurait ajouté à la loi du 31 décembre 1990 a été rejeté par la Cour.
Certes, ces dispositions visent les conditions de constitution des sociétés d’exercice libéral et non pas tant la validité des conventions conclues par la société ou encore passées par les fondateurs et susceptibles d’être, le cas échéant, reprises par la société après sa constitution sur le fondement de l’article L. 210-6 du Code de commerce.
Or, comme le souligne le rapporteur public, l’inscription au tableau de l’ordre des avocats ne constitue pas une condition préalable à la vente à la différence du régime des transmissions des offices de notaires. Pour cette dernière profession, le Conseil d’Etat a considéré, au visa de l’article 91 de la loi n° 01816-04-28 du 28 avril 1816 sur les finances (aux termes duquel « les avocats à la Cour de cassation, notaires, avoués, greffiers, huissiers, agents de change, courtiers, commissaires-priseurs pourront présenter à l'agrément du Président de la République des successeurs, pourvu qu'ils réunissent les qualités exigées par les lois. Cette faculté n'aura pas lieu pour les titulaires destitués. Les successeurs présentés à l'agrément, en application du présent alinéa, peuvent être des personnes physiques ou des sociétés civiles professionnelles »), que la transmission des offices de notaires est subordonnée à l'agrément de l'autorité administrative de sorte que la cession est soumise à une condition suspensive qui se trouve réalisée au plus tôt à la date de publication de la nomination du successeur (CE 23 janvier 1985 n° 43748, B. : RJF 3/85 n° 406).
Cependant, en étendant la solution dégagée pour la transmission des offices notariaux, la jurisprudence administrative paraît d’une manière générale singulariser les conventions ayant spécifiquement pour objet de permettre l’exercice de l’activité dont le titre est protégé, en les soumettant à une condition de validité tirée du statut légal et réglementaire de la société cessionnaire.
Ainsi, pour juger que la validité de la cession de la clientèle d’expert-comptable dépendait de l’octroi de l’agrément, le Conseil d’Etat a pris appui sur les textes qui ne visaient pas expressément l’acte de cession lui-même, mais les qualités requises du cessionnaire pour exercer la profession : l’article 3 de l'ordonnance du 19 septembre 1945 portant institution de l'ordre des experts-comptables et réglementant le titre et la profession d'expert-comptable dispose que « nul ne peut porter le titre d'expert-comptable ni en exercer la profession s'il n'est inscrit au tableau de l'ordre... » alors qu'aux termes de l'article 40 de la même ordonnance « le conseil régional dresse un tableau des personnes et sociétés établies dans sa circonscription qui, remplissant les conditions imposées par les lois et règlements, sont admises par lui à exercer les professions d'expert-comptable et de comptable agréé » (Rapprocher aussi, s’agissant de l’appréciation de la date de cessation de l’activité exercée à titre individuel en cas de transformation d’une SCM en SELARL, cessation déterminée par référence à l’inscription de cette dernière au tableau de l’ordre des médecins, CE 7 mars 2012, n° 330169, 3e et 8e s.-s., B.: RJF 2012, n° 597) .
Les ressorts de cette jurisprudence sont parfaitement synthétisés dans le bref commentaire sous l’arrêt D. à la Revue de la jurisprudence fiscale : « lorsqu'une autorisation administrative porte sur l'objet même d'un contrat, elle est une condition de validité de celui-ci et le transfert de propriété ne peut dans ce cas intervenir qu'au jour de la délivrance de l'autorisation administrative, sans rétroactivité possible à la date du contrat et il importe peu que le contrat reproduise ou non cette condition légale » (note sous CE 11 avril 2008 préc., RJF 2008, n° 812) .
A partir du moment où la convention de cession, par elle-même, ne pouvait produire l’effet fiscal escompté avant l’inscription de la société cessionnaire au tableau de l’ordre, le cédant ne pouvait utilement se prévaloir de ce que la société ait acquis la personnalité morale avant l’obtention de l’autorisation administrative. A plus forte raison, il devenait inutile d’envisager si la société avait pu reprendre un engagement, imparfait, pris en son nom par un fondateur conformément à l’article L. 210-6 du Code de commerce (le principe même et la portée de l’application éventuelle de ce texte en matière fiscale sont incertains : CE, 11 oct. 1991, 8e et 7e s.-s., n° 54616 et 54617, SA Union Internationale Immobilière : Dr. fisc. 1991, n° 50, comm. 2417, concl. J. ARRIGHI DE CASANOVA ; CE, 8 juill. 2009, 10e et 9e s.-s., n° 279018, M. D., Dr. fisc. 2009, n° 37, comm. 456, concl. J. BURGUBURU). Par ailleurs, la chronologie particulière des opérations de l’espèce rendait impossible un tel examen, au regard de l’article L. 210-6 du Code de commerce, dans la mesure où la SELARL a été immatriculée au RCS de Mâcon le 27 décembre 2004, ce qui, du reste, paraît constituer une violation de l’article 3 de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 précitée, aux termes duquel « l'immatriculation de la société ne peut intervenir qu'après l'agrément de celle-ci par l'autorité compétente ou son inscription sur la liste ou au tableau de l'ordre professionnel ». La société cessionnaire avait donc pu acquérir la personnalité morale encore en 2004 et dès avant la signature de l’acte de cession - à moins de s’interroger sur la portée de l’absence de l’inscription préalable au tableau de l’ordre sur la validité de l’immatriculation au RCS - sans que cela remette en cause la nécessité, au regard de la détermination de la date d’imposition de la plus-value, d’obtenir l’autorisation administrative requise.
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