Un produit phytopharmaceutique qui méconnaît les exigences du principe de précaution ne peut légalement faire l’objet d’une autorisation de mise sur le marché. L'autorité administrative doit veiller au respect du principe de précaution garanti par l'article 5 de la Charte de l'environnement lorsqu’elle instruit une demande d'autorisation de mise sur le marché d'un tel produit. En cas de litige, il appartient au juge de vérifier que l'application du principe de précaution est justifiée puis de s'assurer de la réalité des procédures d'évaluation du risque mises en œuvre et de l'absence d'erreur manifeste d'appréciation dans le choix des mesures de précaution, qui ne doivent être ni excessives ni insuffisantes.
Roundup est le nom commercial d'un herbicide total foliaire systémique produit par la compagnie américaine Monsanto, rachetée par la firme allemande Bayer en 2018. La substance active de ce produit phytosanitaire est le glyphosate, associé à d’autres molécules – les adjuvants – destinées notamment à le faire mieux pénétrer dans la plante. Le glyphosate a été inscrit en 2001 en tant que substance active à l'annexe I de la directive 91/414/CE (Directive 2001/99/CE du 20 novembre 2001 modifiant l'annexe I de la directive 91/414/CEE du Conseil concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques en vue d'y inscrire les substances actives glyphosate et thifensulfuron-méthyle : JOCE n° L 304 du 21 novembre 2001, p. 14) . Depuis l’entrée en vigueur du règlement (CE) n° 01107/2009 du 21 octobre 2009 (JOUE n° L 309 du 24 novembre 2009, p. 1) qui a abrogé la directive de 1991, les substances actives inscrites à l'annexe I de cette directive sont réputées approuvées en vertu dudit règlement. L'approbation du glyphosate est arrivée à expiration le 15 décembre 2017. À l’issue de diverses évaluations portant sur sa cancérogénicité et son activité endocrinienne potentielles, communiquées à la Commission européenne entre le 15 mars 2017 et le 7 septembre 2017, cette dernière a renouvelé l’approbation du glyphosate pour une durée limitée à 5 ans en considération du « rythme exceptionnellement élevé » auquel évoluent les connaissances scientifiques et de la nécessité d'assurer un niveau de sécurité et de protection élevé (Règlement d'exécution (UE) 2017/2324 de la Commission du 12 décembre 2017 renouvelant l'approbation de la substance active « glyphosate » conformément au règlement (CE) n° 1107/2009, cons. 20 : JOUE n° L 333 du 15 décembre 2017, p. 10) .
Le règlement du 21 octobre 2009 met en place une procédure complète d’évaluation des risques et d’autorisation pour les substances actives et pour les produits phytopharmaceutiques les contenant. Cette procédure est à double détente :
- au niveau européen, l'Autorité européenne de sécurité des aliments (European Food Safety Authority - EFSA) évalue chaque substance active. La Commission européenne approuve la substance active s’il est prévisible que les produits contenant la substance considérée répondront à plusieurs critères tels que notamment l’efficacité, l’absence d’effet nocif pour la santé humaine ou animale, l’absence d’effet inacceptable sur l'environnement du produit ou de ses résidus (Règl. n° 1107/2009, art. 4 et s.).
- les États membres évaluent les produits finaux contenant la substance approuvée au niveau européen et en autorisent la mise sur le marché (AMM) au niveau national (Règl. n° 1107/2009, art. 28 et s.) . L’approbation de la substance active au niveau européen n’implique pas que les États membres soient tenus d’autoriser la mise sur le marché des produits la contenant. En effet, lors de la délivrance des autorisations, l’objectif de protection de la santé humaine et animale et de l’environnement prime l’objectif d’amélioration de la production végétale (Règl. n° 1107/2009, cons. 24) . En particulier, « les États membres ne sont pas empêchés d’appliquer le principe de précaution lorsqu’il existe une incertitude scientifique quant aux risques concernant la santé humaine ou animale ou l’environnement que représentent les produits phytopharmaceutiques devant être autorisés sur leur territoire » (Règl. n° 1107/2009, art. 1 § 4) .
En France, l’AMM – qui est juridiquement une autorisation administrative préalable – est délivrée par le directeur général de l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail). L’AMM est délivrée pour une durée de 10 ans au maximum, à l’issue de laquelle une nouvelle autorisation (renouvellement) est nécessaire (code rural et de la pêche maritime, art. R. 253-5) . Les autorisations initiales et de renouvellement sont délivrées à la suite d’une évaluation conduite par l’ANSES. Toutefois, l’évaluation n’est pas requise lorsque la demande d’autorisation porte sur un produit de revente, c’est-à-dire un produit ayant fait l’objet d’une autorisation pour un autre produit de composition strictement identique (code rural et de la pêche maritime, art. R. 253-14, I, 7° et D. 253-9).
Tel était le cas dans la présente affaire : le directeur général de l’ANSES a autorisé le 6 mars 2017 la société Monsanto à mettre sur le marché le produit phytopharmaceutique Roundup Pro 360, sans évaluation préalable, au motif de sa composition strictement identique à celle du produit Typhon. Cette décision a été attaquée par le Comité de Recherche et d'Information Indépendantes sur le Génie Génétique (CRIIGEN) qui en a obtenu l’annulation par le tribunal administratif de Lyon (TA Lyon, 15 janvier 2019, comité de recherche et d'information indépendantes sur le génie génétique, n° 01704067) . La société Monsanto devenue société Bayer Seeds ainsi que l’ANSES ont saisi la cour administrative d’appel de Lyon le 15 mars 2019 aux fins d’obtenir l’annulation de ce jugement. L’arrêt de la cour lyonnaise en date du 29 juin 2021 confirme l’illégalité de la décision d’AMM du Roundup Pro 360 au nom du principe de précaution, méconnu en l’espèce faute d’évaluation préalable des propriétés cancérigènes et de perturbation endocrinienne. Certes, le Typhon avait déjà été autorisé et son autorisation renouvelée en février 2009 après une procédure d’évaluation des risques et d’autres évaluations préalables à des changements de composition ou d’usage intervenus entre 2008 et 2013. Toutefois, ces évaluations anciennes n’ont, par définition, pas pu porter sur les risques suspectés depuis lors. Se posait dès lors la question de l’application du principe de précaution et en amont celle de son invocabilité.
Le principe de précaution est énoncé par l’article 1 § 4 du règlement (CE) 1107/2009 du 21 octobre 2009. Or, selon la cour administrative d’appel de Lyon, « en vertu de ces dispositions, qui ne comportent pas de prescriptions inconditionnelles mais supposent l'exercice d'un pouvoir d'appréciation, il appartient à l’autorité administrative, saisie d’une demande d’autorisation de mise sur le marché d’un produit phytopharmaceutique, de veiller au respect du principe de précaution garanti par l’article 5 de la Charte de l’environnement ». Le moyen tiré de la méconnaissance du principe de précaution n’était donc pas inopérant (CAA Lyon, 29 juin 2021, §. 12) . Ainsi, est posé en principe « (qu’) un produit phytopharmaceutique qui méconnaît les exigences du principe de précaution ne peut légalement bénéficier d’une autorisation de mise sur le marché ». La cour lyonnaise explicite ensuite le « protocole » à suivre en pareille occurrence, dans une rédaction très similaire à celle de l’arrêt Stop THT (CE Assemblée, 12 avril 2013, association coordination interrégionale stop THT et autres, n° 342409, Lebon p. 386 ; AJDA 2013. 1046, chron. X. Domino et A. Bretonneau ; AJDI 2013. 531, obs. S. Gilbert ; RDI 2013. 305, obs. A. Van Lang ; RFDA 2013. 610, concl. A. Lallet). Il appartient d’abord à l’autorité compétente, saisie d’une demande d’autorisation de mise sur le marché, de rechercher s’il existe des éléments circonstanciés de nature à accréditer l’hypothèse d’un risque de dommage grave et irréversible pour l’environnement ou à la santé justifiant l'application du principe de précaution. Dans l’affirmative, cette autorité doit « veiller à ce que des procédures d'évaluation du risque identifié soient mises en œuvre par les autorités publiques ou sous leur contrôle » et « vérifier que, eu égard, d’une part, à la plausibilité et à la gravité du risque, d’autre part, à l’intérêt du produit, les mesures de précaution dont l’autorisation est assortie afin d’éviter la réalisation du dommage ne sont ni insuffisantes, ni excessives ». Si le contrôle du juge est normal sur les deux premiers points, il est en revanche restreint à l'erreur manifeste d'appréciation s’agissant du choix des mesures de précaution (CAA Lyon, 29 juin 2021, §. 11).
En l’espèce, le dernier état des connaissances scientifiques disponibles au jour de l’autorisation litigieuse accréditait l’hypothèse d’un risque d’atteinte à l’environnement lié à l’usage du glyphosate et de celui associé à d’autres coformulants, susceptible de nuire de manière grave à la santé. L’application du principe de précaution était donc justifiée. L’ANSES, qui avait été saisie d’une étude du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) ayant considéré le glyphosate comme « cancérigène probable pour l’homme », avait estimé nécessaire que le classement du glyphosate soit rapidement revu par l’Agence européenne des produits chimiques (European Chemicals Agency - ECHA). Les autorités européennes avaient également jugé nécessaire de consulter l’ECHA non seulement sur le risque cancérigène mais également endocrinien lié au glyphosate (V. supra) . L’EFSA avait par ailleurs préconisé que « la toxicité de chaque formulation de pesticides, et en particulier de son potentiel génotoxique, fasse l’objet d’un examen plus approfondi et soit abordée par les autorités des États membres lorsqu’elles réévalueront l’utilisation des formulations contenant du glyphosate sur leurs territoires », admettant ainsi, constate les juges d’appel, « l’éventualité d’un risque accru en cas d’utilisation du glyphosate combiné à d’autres coformulants » (CAA Lyon, 29 juin 2021, §. 13) . Or, à la date de la décision querellée, autorisant la mise sur le marché du Roundup Pro 360, ces avis n’avaient pas été rendus, si bien que l’éventuelle cancérogénicité du glyphosate et son activité endocrinienne potentielle n’avaient pas été évaluées. Par surcroît, le Roundup Pro 360 ayant été autorisé comme produit de revente, il a été dispensé d’évaluation préalable alors même que les évaluations du Typhon, trop anciennes, ne pouvaient en tenir lieu (CAA Lyon, 29 juin 2021, §. 14) . Le principe de précaution a donc bien été méconnu. La cour confirme en conséquence l’annulation prononcée en première instance de la décision du directeur général de l’ANSES du 6 mars 2017.